S'ils sont depuis de nombreuses années bien implantés sur le territoire américain, c'est néanmoins au cœur des Balkans que les Tigrovi prennent racines. Et là-bas, les âmes charriées par le berceau du Klan ne s'éloignent que rarement de la route tracée pour elles. S'il ne partage pas le sang de ceux qui tiennent aujourd'hui l'organisation, Bojan Milkovic est néanmoins étroitement lié aux Drazavic, les deux familles étant amies de longue date. Fils de militaire, il grandit dans un univers à la violence profondément ancrée, façonné dès la naissance pour devenir un soldat aussi efficace qu'obéissant. Lorsqu'il s'engage dans l'armée aux côtés de Jelenko Drazavic, il ne fait que respecter l'ordre établi, et les souhaits paternels. C'est la même loyauté aveugle qui le pousse, quelques années plus tard, à accepter de rejoindre la branche new-yorkaise des Tigrovi.

C'est à New-York qu'il rencontre Cennet, fille d'immigrés turcs, dont il tombe très amoureux. La jeune-femme tombe enceinte très rapidement, et c'est pour elle qu'il décide de rester aux Etats-Unis. Pour ne pas salir la réputation de leurs familles respectives, il se marient avant que sa grossesse ne puisse se voir, et accueillent ensemble un fils : Zoran. Cennet ne termine pas ses études, dans lesquelles elle peinait de toute façon, et enchaîne les petits boulots pour participer aux dépenses du foyer. Bojan est un époux aimant mais strict, autoritaire et inflexible, et sa femme trouve dans le rôle de l'épouse discrète et effacée la place qui lui convient puisqu'il la dédouane de toutes responsabilités. Ses tentatives pour retomber enceintes sont compliquées, mais après une première fausse couche, Cennet met au monde une petite-fille, Nives, trois ans après la naissance de son fils.


Les parents de Cennet décèdent à quelques années d'intervalle, et les choses commencent à se corser de l'autre côté de l'Océan. Peu de temps avant que ne débute le siège de la ville, Bojan parvient à convaincre sa femme de déménager à Sarajevo, afin qu'ils se rapprochent de sa famille. Il renoue avec cette branche des Tigrovi et, même au cœur de la guerre, il se pense en sécurité parce qu'il est entouré des siens, là où est sa place. C'est au milieu des bombardements que Nives apprend à parler, puis à lire et à compter. Si elle est trop jeune pour comprendre ce qu'il se passe réellement, son univers se teinte néanmoins de violence et de sang, et les membres du groupe paramilitaire auquel appartient son père semblent occuper tout le paysage. Zoran, plus âgé qu'elle, est placé sur les traces du paternel : on l'envoie s'entraîner avec les jeunes recrues, et s'il est trop jeune pour prendre part aux combats, rien n'est fait pour le préserver de la réalité de la guerre. Il est forcé de s'endurcir, très tôt, tandis que Nives reste en retrait, dans l'ombre de sa mère déjà effacée. Elle enregistre la violence, l'intériorise, accumule les images sanglantes sans savoir qu'en faire.

La guerre n'a pas raison d'eux, mais les Tigrovi trouvent toujours de nouvelles raisons de se battre, et les conflits ne faiblissent pas. A défaut d'être autorisée à se rendre utile, Nives devient maîtresse dans l'art d'écouter aux portes sans jamais se faire repérer. Elle devient l'ombre que l'on attend d'elle qu'elle soit, en mettant sa discrétion au profit de ses apprentissages. Curieuse par nature, elle collectionne les secrets entendus à travers les murs, ou ceux trouvés dans les bureaux qui lui sont pourtant interdits. A cet âge, elle ne sait pourtant pas encore quoi faire de ces informations, et se contente de les amasser comme autant de trésors pourtant inutiles.


S'il est parvenu à protéger sa famille durant la guerre, Bojan se trouve cependant impuissant à la préserver de ses ennemis. Sa femme périt lors d'une embuscade dont il était la cible, emportant avec elle les derniers morceaux de bienveillance et d'affection qui persistaient en lui. Rongé par le remords, et désireux d'honorer les souhaits qui auraient été ceux de Cennet, Bojan retourne aux Etats-Unis, emportant ses enfants avec lui. Cette fois, il rejoint la branche récemment établie à Los Angeles, dans laquelle il s'implique avec plus de dévotion encore : privé de sa femme, sa loyauté envers le Klan devient sa seule motivation à survivre. Incapable pour autant d'abandonner à nouveau sa mère patrie, une fois qu'il estime ses enfants à l'abri il devient le lien entre Sarajevo et Los Angeles. Ses voyages sont fréquents et Zoran et Nives sont laissés à la surveillance des Tigrovi sur place durant les absences de leur père.

A cette période, Nives et son frère se rapprochent plus encore, ce dernier se faisant un devoir de veiller sur sa sœur. Il est désormais suffisamment âgé pour s'investir au sein du Klan, dont il devient la plus jeune recrue, mais Nives l'accompagne à chacun de ses entraînements, ou presque. Le temps qu'elle ne passe pas auprès de lui, elle le passe le nez vissé sur l'écran de son ordinateur, à se perdre dans les méandres d'Internet. C'est ainsi qu'elle trompe la solitude, sans jamais réellement parvenir à s'intégrer au sein des établissements scolaires qu'elle fréquente. La violence qui constitue son quotidien la fascine, mais elle se révèle assez médiocre au combat et plus mauvaise encore pour suivre aveuglément les ordres. Couvent en elle les braises de la révolte, et elle n'est pas aussi douée qu'il le faudrait pour les étouffer.

Désireuse malgré tout de façonner sa propre place au sein du Klan, elle entame des études d'informatique et développe ses talents, qui la rendent rapidement indispensable. La jeune-fille n'a pas perdu sa propension à fouiner où il ne faut pas le faire, mais elle n'a plus besoin désormais de se cantonner aux limites imposées par les portes fermées à clés. Elle apprend à déterrer les secrets même les mieux gardés, et fait surgir des placards les squelettes qui y étaient dissimulés depuis trop longtemps. Les mensonges et vicieuses petites cachoteries de leurs ennemis, comme celles de leurs alliés, ne résistent pas longtemps à ses enquêtes.


Lorsque l'on appartient à la famille Milkovic, il est cependant des devoirs auxquels on ne peut échapper, et les attentes de Bojan sont élevées. Lors de la dernière visite de Nives à Sarajevo, son père lui a présenté l'homme auquel il l'a promise dans l'espoir de renforcer les alliances familiales. Il tient à ce que ses enfants perpétuent la lignée, et engendrent de nouveaux soldats pour venir grossir les rangs de l'organisation. Il n'a cependant pas encore prévu de kidnapper sa fille, ni de la marier de force, et Nives refuse pour l'heure de se plier aux exigences paternelles. Elle est rentrée à Los Angeles, où elle prétend que l'homme supposé l'attendre sur un autre continent n'existe pas.

Nives vit sa vie sur le fil du rasoir, oscillant entre l'image qu'elle est supposée renvoyer pour ne pas décevoir les siens, et celle qu'elle cherche encore à devenir, encore perdue dans sa quête identitaire. Si elle se tient loin des combats, quelque chose en elle semble néanmoins aimanté à cette violence qui fait partie de l'essence même de ce qu'elle est. Si les missions qui lui incombent prennent vie dans l'ombre, elle continue néanmoins à observer de près la sauvagerie des membres du Klan en s'entraînant à leurs côtés, ou en tournant autour des combats clandestins.