Il y a plein de choses à dire sur moi, sur ma famille, sur le passé. Mes anciens amis, mon ancienne vie. Mais il y a, au moins, tout autant à dire sur ma nouvelle vie. Peut-être même plus. Si je l’avais voulu -j’en serais même presque à regretter- j’aurais pu être l’une de ses pimbêches : habillée de marque de la tête aux pieds, du maquillage hors de prix, belle voiture, belle maison, belle vie. Mais une vie où j’aurais dû me taire, me plier aux exigences de papa et maman. Rien qu’à cette idée, l'urticaire me bouffe. Quelle horreur. J’aurais pu être une fille à papa. Le plus drôle c’est que, bien souvent, les filles dans mon cas, elles se retrouvent dans cette situation qu’est la prostitution contre leur gré, par obligation pour survivre aux difficultés de la vie. Moi… Je trouve que c’est pas si mal, en fin de compte. En étant fille unique entourée de bobo bien élevés, je me suis vite ennuyée quand j’étais gamine. Si mes « amis » -comprenez les gamins d’amis de mes parents- écoutaient au doigt et à l’œil, qu’ils servaient des « puis-je ? » à tout va, moi, la Luce sauvageonne j’étais plutôt à me faufiler discrètement sous les tables pour aller bouffer les petits fours, faire les fonds de verres que les adultes laissaient traîner ci-et-là. Du genre, à 7 ans, à finir la tête dans la cuvette sans comprendre ce qui m’arrivait. Ouaip, les gars. Vous avez bien compris : première cuite non voulue. Je sais, je sais, ça craint. J’entends encore mes parents me hurler dans les oreilles le lendemain -n’oubliez pas que j’étais en plein lendemain de cuite, tellement moche- à me rabaisser, à me dire que je n’étais qu’une incapable, à me faire comprendre que j’étais une moins que rien. Les joies de la famille quoi, mais à 7 ans, j’avais juste baissé la tête et pleuré en silence pour ne pas les déranger.
Ado, c’était encore pire. Les cuites étaient voulues -et même recherchées- et je ne manquais pas de répondant quand mes parents me traitaient comme la pestiférée de fille qu’ils n’avaient pas réclamés. Sauf que j’avais du répondant. C’était à coup de « bof, au moins, j’suis la moins que rien que j’veux. P’pa, c’est bien toi qui dit qu’il faut tout faire pour dev’nir c’qu’on veut, nan ? » et en général, ça terminait avec la fameuse pantoufle qui traversait le salon -que j’arrivais à éviter une fois sur deux- avant qu’il ne m’attrape et me mette l'aller retour de ma vie. Enfin, jusqu’au suivant. Et puis un jour, je me suis pas démontée, j’ai été voir mon père dans son bureau pour lui dire que je m’étais inscrite pour partir en Italie en erasmus et, évidemment, j’avais pris sa carte pour payer tout ce qu’il fallait. Je vous laisse imaginer tout ce que j’ai dû avaler en paroles dégueulasses. Sans parler des coups. Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Quand la nouvelle est parvenue jusqu’aux oreilles de ma mère -soit 15 secondes après, environ- c’est seulement du dégoût que j’ai lu sur sa tronche. Ça m’a fait ni chaud, ni froid et je suis partie.
L’Italie, c’était le rêve. J’ai enfin pu m’épanouir comme je l’entendais malgré les milliers de coups de fil de mes parents qui m’intimaient de rentrer immédiatement. J’ai toujours refusé, quitte à m’attirer des foudres j’ai préféré en profiter au maximum avant de devoir rentrer. Même en bossant d’arrache pied pour réussir mon année en erasmus, j’arrivais à sortir tous les soirs, faire la fête, boire pour oublier ce qui m’attendait quand je rentrerais chez eux. De nouveaux amis, même un petit boulot dans un bar, j’y étais bien. Beaucoup trop bien. Toutes les bonnes choses ont une fin. Plus j’approchais du retour inévitable, plus je déconnais. Je ne me souviens pas avoir fait une journée sans finir complètement bourrée dans le lit d’un parfait inconnu. À présent, je me dis que j’ai sûrement voulu faire une overdose de fêtes avant de rentrer. J’ai bu à en détruire mon foie, fait hurler la musique dans mes oreilles au point de m’éclater les tympans et fumer tout ce qu’on m’a tendu au point de m’encrasser les poumons. Je me souviens d’une fois, j’étais tellement déchirée et défoncée que je ne me suis même pas rendue compte que je faisais des avances à un policier -il était sexy le policier hein. J’ai fini en garde à vue. J’imagine que j’étais prédestinée à faire la pute.
J’avais vingt ans quand je suis rentrée au bercail. J’étais plus du tout la même mais au moins, j’avais trouvé mon rêve : devenir institutrice. J’avais voulu aller l’annoncer à mes parents, espérant lire dans leurs regards un brin de fierté. Si je vous dis que ce jour-là, j’avais été beaucoup trop naïve, vous me croyez ? Premièrement, ma clé ne rentrait pas dans la serrure -ces connards les avaient changées- ensuite quand ma mère m’avait ouvert, j’avais même pas eu le temps de dire un seul mot qu’elle m’avait gifler. Ça a été l’unique fois qu’elle a levé la main sur moi. Et puis pour finir, elle m’avait laissé aux mains intransigeantes de mon père. En bref, le jour de mon retour j’ai à la fois pris la plus grosse dérouillée qui existe et j’ai fini sdf. J’ai passé quelques nuits sous un plafond de nuit étoilée. Puis il est arrivé, j’ai imaginé un tas de scénarios possibles et imaginables.
Je danse et danse encore. Mon cœur bat tellement vite et tellement fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. C’est pas le peu de tissu que je porte qui le retiendrait en plus. Putain, j’ai soif. Mais j’ai pas un rond. Les quelques verres que j’ai réussi à avoir, c'est des mecs qui me les ont payés -quand je ne leur ai pas taxés directement leur propre verre. Je m’en tape, de ce qu’il y a dedans, je veux juste me retourner le cerveau. Riant aux éclats avec une nana qui n’est pas dans un meilleur état que moi, si ce n’est pire, je parcours la salle de cette boîte de nuit du regard. Bingo ! Encore un chien qui me regarde. Aller bébé, sort les billets. Souriante et titubante, je ne me démonte pas et m’approche de ce regard de braise. L’une des chaise a ses côtés et vide pourtant, c’est sur ses genoux que je décide de m’installer.
« — le spectacle t’as plu ?
— plutôt ouais. T’es bandante. »
Le message est limpide alors je passe un bras sur ses épaules, mon cul se presse contre son bassin.
« — merci. Si ça te dis je pourrais t’en montrer un peu plus mais j’ai hyper soif.
— j’ai tout ce qu’il faut pour continuer la fête chez moi. »
Mon sourire s’étire, ses mains fermes se referment sur la taille. En plus de boire comme une ratée, je vais me faire sauter : mieux que ce que j’espérais.
Moi qui pensais resserrer les griffes sur ce mec. L’ironie du sort a fait que c’est lui qui a resserré ses griffes sur moi. Même si j’ai passé la nuit la plus folle de ma vie decadante, je l’admet, c’est lui qui m’a passé mes chaînes aux poignets et aux chevilles. Les six, me voilà maintenant depuis presque six ans chez eux. Au diable mon rêve, salut la vie nocturne jusqu’à ce que je termine derrière des barreaux ou jeter dans le premier plan d’eau du coin.