TW : relation toxique, violences conjugales, drogue, sang

C'est propulsé dans un bain de sang qu'il poussa ses premiers cris. Gisant sur le carrelage glacé de la boîte de nuit équatorienne, la mère, du sang sur les doigts, ne réalisait pas ce qu'elle venait de faire. Originaire d'Umeå, en Suède, l'ancienne mannequin de 35 ans avait vu sa vie virer au drame, un soir de juillet 1976. Une promesse d'amour par un homme à l'apparence riche, des projets de voyage aux quatre coins du monde, une sécurité assurée...Elle ne pouvait que céder à l'amour. Pourtant, elle n'avait aucune idée qu'elle venait de s'engager dans une relation toxique, avec l'un des membres d'un réseau de drogue équatorien.


Polonais de souche, il trempa rapidement dans la criminalité, rejoignant un petit cartel de drogue équatorien. En charge du blanchiment d'argent du cartel, il allait débuter sa sixième année dans cette organisation lorsqu'il rencontra la future mère. En voyage à Stockholm, il l'avait vu marcher avec une telle élégance dans les rues de la capitale qu'il n'avait pas pu résister. Deux trois promesses en l'air, deux trois verres, et elle était sienne...comme d'autres auparavant. Il collectionnait les filles comme il collectionnait les billets...Deux trois mots de plus, et elle embarquait avec lui dans un avion, direction l'Equateur.

"Sr. Lempowski... Su hijo acaba de nacer." (M. Lempowski... Votre fils vient de naître).


Elle n'avait pas compris qu'il était membre d'un cartel. Naïve, elle le pensait simplement riche. L'arme claquée sur la table du salon, la mallette qu'il transportait avec lui, et les appels secrets dans son bureau lui avait fait comprendre que l'homme qu'elle embrassait chaque soir n'avait pas un métier classique. Elle avait pris peur quand elle avait compris, avait voulu repartir en Suède, mais le flingue posé sur sa tempe par son conjoint l'avait dissuadé de fuir. Elle était maintenant prisonnière dans un pays dont elle ne connaissait pas la langue, avec un homme prêt à l'exterminer si elle tentait de reprendre son ancienne vie.


Il était en train de passer ses doigts dans la longue et brillante chevelure brune d'une fille affalée sur le canapé de la boîte de nuit quand il fut informé de la naissance de son fils. Refermant abruptement les quelques boutons de sa chemise noire, il déambula dans la boîte jusqu'à arriver aux pieds de sa femme. C'est là, qu'il trouva sa progéniture ensanglantée avachie sur le sol des toilettes. Ce n'était pas un enfant qu'il avait souhaité ; un rapport sous le coup de l'énervement avait suffi pour créer le nourrisson.


Elle non plus, ne voulait pas de cet enfant. Un fils, avec cet homme ? Plutôt avorter. Elle avait tenté de le faire secrètement, dans le dos de son conjoint, mais s'était pris plusieurs coups pour avoir tenté de mettre fin à cette progéniture imprévue.


Il n'a aucune idée de ce que l'école signifie. Une institutrice, payée par l'argent du cartel, passait ses journées chez les Lempowski pour instruire Roy sur l'histoire, les mathématiques, l'espagnol, la biologie, l'art, la géographie, et d'autres disciplines enseignées à l'école publique. De trois à treize ans, il avait fait l'école à la maison, observant son père faire les cents pas dans la pièce, son flingue fièrement exhibé dans la ceinture de son pantalon. Pendant son temps libre, il traînait les rues de Guayaquil avec les autres enfants du cartel. Foot, combats de rue, jeux d'intimidations publiques, les p'tits, toujours sous la surveillance d'un membre du cartel, imitaient les adultes en jouant aux petits merdeux auprès de la population locale.


Elle a laissé tombé ses escarpins pailletés pour des bottes en caoutchouc. Embauchée malgré elle par le cartel, la suédoise effectue le sale boulot. Nettoyage du QG, des vêtements tâchés de sang des membres, des voitures dans lesquels l'odeur de la mort est omniprésente, l'ancienne reine de beauté travaillait à présent dans l'ombre.

A la maison, elle avait appris à son fils le suédois, afin de communiquer avec Roy sans que le père ne comprenne la discussion. Elle avait fini par l'aimer, ce petit blond, même si elle devait bien avouer qu'il devenait comme son père au fil des années.


Il avait vu en Roy un potentiel à développer. Le petit semblait avoir une froideur naturelle et un mental d'acier, même s'il n'arrivait toujours pas à comprendre pourquoi son fils était terrifié les soirs d'orage. Lorsque Roy eut treize ans, il décida de mettre un terme à sa scolarité à domicile. Il était temps pour le mineur de prendre part aux activités du cartel. Les premiers temps, Roy n'effectuait pas de tâches importantes. Il était en charge de compter les billets, de faire l'inventaire des munitions, armes, et autres équipements, et de faire le guet. Mais, à quinze ans, les choses furent plus sérieuses.

¡Mátalo, rápido! (tue-le, dépêche toi)


Il avait eu envie de vomir lorsque son père lui avait claqué le flingue dans sa main, pour tuer cet homme attaché devant lui. Un traitre du cartel qu'il fallait éradiquer. Sa première vraie épreuve. Sa main était tremblante, et la première balle vient se nicher dans l'épaule de l'homme déjà condamné. Son erreur lui valut une gifle de son père. Coup classique, qu'il avait subi dans son enfance à chaque signe de faiblesse, à chaque désobéissance d'un ordre.
La deuxième balle qu'il tira ne loupa pas sa cible. Au centre du front de l'homme, coulait un filet régulier de sang.



Il lui était inconcevable de continuer à vivre cette situation. Un conjoint absent, violent, membre d'une organisation criminelle ; un fils qui suivait ses pas, sa vie tournait au cauchemar. Malgré une peur constante, l'ancienne mannequin décida de divulguer ses connaissances sur le cartel aux autorités équatoriennes. Au fil des années, elle avait pu recueillir un bon nombre d'informations sur la planque, le business, l'organisation, et les partenaires du cartel. Le 14 novembre 1998, à la surprise générale, la police procéda à l'arrestation de plusieurs membres du cartel, dont le père de Roy. L'adolescent, âgé de 18 ans à l'époque, fut épargné par les autorités. Sa mère avait conclu un marché avec la police pour protéger son fils, en échange d'informations. Une peine maximale est actée pour le leader de l'organisation. Le père lui, prendra 30 ans ferme.


Deberías volver a Suecia, mamá. (tu devrais rentrer en Suède maman). Maman lui avait tout avoué, 3h après l'arrestation. Pour autant, il n'était pas en colère. Comment pouvait il l'être alors que sa mère venait de le sauver de la prison ? Deberías irte, porque cuando salgan de la cárcel, vendrán y te matarán. (tu devrais partir, car, quand ils sortiront de prison, ils viendront te tuer). Le soir même, Roy avait conduit sa mère à l'aéroport, lu expliquant une nouvelle fois qu'il ne pouvait pas venir avec elle à Stockholm. Il était né en Equateur et souhaitait faire sa vie là-bas.

Ce soir-ci était le seul moment de sa vie où il fit preuve de douceur et d'empathie à l'égard d'une personne. Les mamans avaient ce ci beau pouvoir de tirer le meilleur chez leur création.


A présent livré à lui-même dans la ville de Guayaquil, un travail lui était nécessaire pour vivre. De part son réseau, il décrocha un poste de barman dans l'une des boîtes de nuit de la ville. Un métier qu'il ne connaissait pas, qu'il apprit à maitriser. Un métier qui l'écarta de toute trace d'illégalité. Un métier qu'il exerça pendant cinq ans. Et en cinq ans, il eut l'occasion de commencer deux relations amoureuses qui n'aboutirent qu'à des ruptures.

Il profita du 1er janvier 2002 et de ses nombreuses résolutions pour déménager à Guadalajara, au Mexique. Quelles attaches avait-il dans sa ville natale ? Son père et ses anciens collègues derrière les barreaux, deux petites amies de perdues, il ne se voyait pas rester dans cette ville. Alors, c'est dans un nouveau pays, qu'il décida de repartir à zéro.


Le monde de la nuit comme élément central de son CV, Roy fut embauché dans une boite de nuit luxueuse, prisée des célébrités d'Amérique du Sud. Un établissement haut de gamme, pour lequel il assurait la sécurité. Un nouveau métier qu'il apprit à apprivoiser, avec lequel il forgea un peu plus son caractère d'aujourd'hui. Froideur, intransigeance, antipathie. Autant de défauts nécessaires pour la bonne exécution de son métier. Des nuits plus compliquées que d'autres, des nuits où il termina son service en sang, des nuits où le silence inattendu de la capitale l'ennuyait presque.

Puis, The Six arrivèrent.


14 mai 2012, une date qu'il garde encore en tête. 33 ans, des rides légèrement apparentes, 5 relations amoureuses peu concluantes (la plus longue a toutefois durée 4 ans) et 10 ans d'expérience professionnelle en tant qu'agent de sécurité. Cette nuit du 14 au 15 mai 2012 fut la nuit durant laquelle son destin bascula.

Une soirée pourtant banale, sans évènement particulier. Néanmoins, Roy n'avait de cesse de guetter l'une des danseuses, nichée sur ses hauts talons argentés. C'était Héléna. Elle travaillait pour la boîte depuis trois ans, mais ce soir, elle semblait faire un mauvais travail, étant donné les mines blasées des clients attablés. Un tel manque de professionnalisme ne lui ressemblait guère...

1h36. Il venait de tirer une balle dans le crâne d'Héléna. Du sang colorait les murs des toilettes pour hommes de la boîte. Un homme au torse ensanglanté se maintenait à l'un des lavabos de la pièce. Cet homme, originaire des Etats-Unis, était venu en simple repérage au Mexique dans le but d'importer des filles à Los Angeles pour l'un des gangs de la ville, The Six. Dans ces toilettes, Héléna avait voulu l'éliminer en guise de revanche ; les Six avaient emmené l'une de ses meilleures amies aux USA quelques semaines auparavant.

Roy avait donc tapé dans l'œil de cet homme, et, indirectement, dans l'œil des Six. Il lui avait sauvé la vie, tout de même. Une petite promotion en valait bien la peine.


Ce n'est qu'en 2015 qu'il rejoignit officiellement les rangs du gang. Arrivé en 2014 sur le sol américain, il passa une année test auprès du Six. Il mit deux ans pour prendre la décision de quitter le Mexique. Deux ans pour appeler ce numéro que l'homme qu'il avait sauvé lui avait laissé sur un bout de papier déchiré. Deux ans pour réaliser sur son job actuel l'ennuyait, deux ans pour réaliser qu'il avait fait son temps au Mexique.

Les Etats-Unis, c'est une promesse d'argent, d'une vie meilleure, où les conditions de vie sont beaucoup plus agréables qu'au Mexique. Les Etats-Unis, c'est l'opportunité pour lui de retrouver le monde de l'illégalité, qu'il avait quitté au commencement de sa vie d'adulte.

Aujourd'hui, cela faisait huit ans qu'il bossait pour le Six. Huit ans à surveiller chaque recoin du Strand, à serrer les mains de ses collègues, à foutre dehors les "unwanted"...Huit ans qu'il apprit une nouvelle langue : l'anglais.
Son accent espagnol est toujours dans son grain de voix, son anglais est loin d'être parfait, mais sa détermination est définitivement acquise.

Huit ans, et beaucoup d'autres années à venir.