Sun of the beach
joyce & angelo
Angelo a plié la nuque sur l’appui-tête du canapé en cuir, comme s’il s’affalait le cou sur ses contrariétés. La pupille bien ancrée vers le plafond, soudainement captivant au regard de ses paupières immobiles. Puis il s’est redressé dans un léger soupir, a avisé Rico lui suggérant d’achever son laïus interminable. Sur un air de conciliabule solitaire, son ami s’est affairé à la tâche minutieuse de lui dépeindre une jeune femme prénommée Joyce - son ex, à ce qu’il racontait - de comment elle avait changé sa vie et comment il souhaitait la voir revenir, en dépit des aberrations qu’il lui avait faites murmurant au passage de menus aveux d’infidélité. « J’suis pas un putain de pigeon voyageur.. » Angelo a plissé farouchement le nez à la vue de cette enveloppe tendue par Rico. “J’sais bien mais elle m’a bloquée de partout”, avait sifflé l’intéressé dans une victimisation absurde, justifiant derechef sa méthode épistolaire des années 1980. “Et puis tu m’en dois une !”. L’argument qui n’était guère hélas obsolète, arracha un soupir glacé à Angelo, lequel se redressa de son siège tout en se saisissant brusquement du butin de papier. « A quoi elle ressemble, ta précieuse ? » Vide d’émotion, il semble penser en automatique lorsque Rico lui détaille la splendeur d’un amour passé, et de comment, s’il le pouvait, il édifierait en son nom un piedestal fait de marbre et de coke. Et, lorsque la pupille brune d’Angelo a planté sa coutille sur la silhouette de Rico, il s’est levé sans un mot quoique inscrivant sur son faciès tout le déplaisir qu’il éprouvait à cette mission vouée à l’échec.
“De source sûre, elle est à Venice.” Cette assurance portée par Rico n’a su mettre à la marge sa détermination à envoyer Angelo au front. Ce dernier, ainsi porté par le service qu’il devait lui rendre (sombre histoire d’argent sale et de planque un peu bancale), s’était ainsi rendu aux festivités du quatre juillet tout en s’assurant que si la silhouette de Joyce n’apparaissait pas dans son champ de vision d’ici une heure, il tournerait les talons sans ambages. Ainsi arrivé sur la plage avalée par la foule, Angelo a embrassé les environs sans grand zèle, détaillant chaque blonde d’une oeillade brève quoique experte (à la découpe de sa pupille l’on pouvait mesurer l’habitus qu’il avait, en tant que figure de proue de l’ignominie, à considérer le potentiel de séduction d’une prostituée) puis considérant que sa tâche était accomplie, se dirigea vers le bar où il commanda ce qu’il faut de spiritueux et de rafraichissant.
Lorsqu’il a tourné la tête, l’oeil happé par la silhouette blonde à ses côtés, Angelo a suspendu le temps, comme un poing dans l’estomac. “Quel enfoiré”, s’est-il entendu penser lorsque la beauté liliale de Joyce s’est révélée plus outrageante encore que sur les photos tendues par Rico. « Hey, c’est toi Joyce ? » A la faveur de son regard étonné, Angelo lui a glissé l’enveloppe sur le comptoir. « C’est de la part de Rico. » Pause tempérée en amont de ses réflexions, lorsqu’il reprend son court laïus enrobé de franchise. « Mais si j’étais toi, je la lirais pas. » Car il a perçu, à travers les éloges tempétueuses de son ami et de la propension qu’il avait, à ne pas endosser ses crasses responsabilités face aux sentiments périssables, que sa toxicité certaine se fondait sans doute sous les mots ainsi laissés à Joyce.