TW : Proxénétisme, violence, maltraitance sur enfant.

La nuit commence doucement à s'installer dans les rues de la ville. T'es là, t'observes, tu dis rien. Tu sens ton cœur qui se serre, ton âme qui se fissure, la bile qui te remonte dans la gorge. Tu veux pas. C'est un jour, un de ces fameux, où tu veux que tout s'arrête. T'as pas le courage d'affronter leur regard, leurs mains avides sur ta peau. Tu te trouves dégueulasse. Leurs mains le sont tout autant, alors qu'elles frôlent avec violence ton épiderme. Tu frissonnes à l'idée de cette nouvelle nuit. T'en viens à maudire cette saloperie de lune qui signe, comme chaque soir, les fissures de ton âme. Comme si t'étais déjà pas assez brisée comme ça.

« Maman ! Au secours ! » Le cœur tambourinant dans la poitrine, Haelyn, trois ans, traverse en courant la seconde pièce de ce qui ressemble à une maison. La gamine a le palpitant qui pulse dans ses veines, alors qu'elle ne cesse de jeter des regards apeurés derrière elle. Elle tremble de tout son corps, alors qu'elle arrive à la hauteur de sa mère. La gamine tire avec force sur la manche de la matriarche, son regard parcourant la pièce comme si un monstre allait en sortir. « Maman ! » Sa voix tremble, son souffle est bien trop rapide. Mais Haelyn l'a dérangé. Erreur fatale. Se retrouvant repousser avec force, elle se cogne contre le mur, sa joue la brûlant. Sa mère, le nez plein de farine pour adulte -comme elle lui a souvent dit- la fusille du regard. « Va jouer ailleurs ! Fous moi la paix ! » Les larmes dévalent ses joues, alors que la gosse sait qu'elle ne doit pas rester là. Elle va se faire gronder. Et ça sera pire si son père rentre. Alors elle s'installe dans le coin de la pièce, se balançant d'avant en arrière, surveillant les moindres recoins de la pièce. Le monstre, il était là, il avait huit pattes.

Tu te lèves, t'as pas le choix. On te demande pas ton avis, on s'en fout de tes états d'âme. T'avances, tu prends une douche. T'as besoin de te sentir propre. Quelques minutes. Quelques secondes. Tu fermes les yeux, tu te fous dans ta bulle. T'en as besoin pour ne pas vriller. T'acceptes. T'as pas le choix de toute façon. T'essuies ta peau pâle, tatouée, marquée. C'est peut-être la seule chose que tu as pu décider dans ta saloperie de vie. T'enlèves la buée sur le miroir. Est-ce ton reflet que tu vois ? T'en sais rien. T'attrapes le crayon noir, tu soulignes tes yeux. Puis tu fais la même avec l'eye-liner, traçant un trait parfait. T'as l'habitude maintenant. Une touche de mascara, qui n'efface pourtant pas le dégoût de toi-même. Et tu complètes cet attirail par un rouge vif sur tes lèvres. C'est pétant. Dégueulasse. Indécent. Mais eux, ils apprécient. Alors tu fermes ta gueule et t'obéis.

« Arrête ! » Haelyn hurle à s'en déchirer les cordes vocales. Mais rien à faire, ça ne s'arrête pas. Elle prend des coups, son père l'accusant d'avoir volé leur came. Elle n'y a pas touché, ne voulant pas goûter à cette merde ! Mais son vieux s'en fout, il frappe. Encore. Toujours. Là où il peut. Là où ça fait mal. Elle subit, sous le rire horripilant de sa mère, qui doit voir des éléphants roses à l'heure qu'il est. Elle les déteste. Elle les hait. Mais ils sont sa seule famille. « Je t'en supplie ... »Les coups s'arrêtent. Pleine d'espoir, elle relève la tête. Il a cessé. Elle pourrait presque en pleurer de joie. Mais c'est pour mieux la détruire. Elle devrait le savoir. Son père la colle dehors sur le trottoir, dans leur quartier mal famé. Il tire sur ses cheveux pour les mettre en ordre -selon son propre avis-. Il tire sur son haut pour mettre sa poitrine en valeur. Et il ordonne qu'elle ne rentre que lorsqu'elle aura trouvé un moyen de ramener de l'argent, afin de payer la came qu'elle n'a pas volée. Et il s'en va. La laissant là. Alors elle s'installe sur le béton froid, se balançant d'avant en arrière, surveillant les moindres recoins de la rue qui l'effraie. Le monstre, il est là, il a deux pattes.

Tu t'habilles. Tu te demandes comment un vêtement peut avoir aussi peu de tissu. Mais on ne te demande pas de penser. Ni de réfléchir. Aussi tu ne penses à rien. La bile te remonte déjà le long de la gorge. T'es rien, t'es personne. T'es prête. Tu glisses tes doigts dans tes cheveux, d'un geste nerveux. Des années et toujours la même nervosité. La même angoisse. Mais tu sais ce qui t'attend. C'est pas la première fois, c'est pas la dernière. Alors t'inspires profondément, cette saloperie de drogues jadis appeler farine pour adulte, pour te donner du courage. Tu peux le faire. Elle peut le faire. C'est Hael qui prend le dessus. Toi, tu t'effaces. Et tu sors. Tu sors, tu t'arrêtes sur le trottoir. T'es bonne qu'à ça. Tu ne sais rien faire d'autre. Tu te fous dans la bulle, te contentant de faire ce qu'on attend de toi. Ecarter les cuisses. Subir les coups. Fermer ta gueule. Mais ça, t'en es pas toujours capable.

Haelyn, elle tremble de peur. Son cœur bat tellement fort. Elle suffoque. Trop chaud. Trop froid. Elle sait qu'elle ne peut pas. Mais elle n'a pas le choix. On ne la laissera pas rentrer sans cet argent. Alors elle patiente, la boule au ventre, l'envie de gerber au bord des lèvres. Elle prie pour que rien ne se passe. Mais les phares éclairent la rue. Le moteur s'arrête à sa hauteur. La vitre se baisse pour laisser apparaître un regard. « Monte ». Elle obéit. Elle déconnecte son esprit. Et elle en ressort une heure plus tard. Souillée. Détruite. Un billet entre les doigts. La première fissure de son âme. Les marques deviennent bleues sur son épiderme pâle. Mais elle se force à sourire. Elle réajuste sa jupe. Replace son haut. Et elle sourit. Toujours sourire. Alors elle s'installe de nouveau, ne se balançant plus d'avant en arrière, mais restant bien droite, surveillant les moindres mouvements de la rue. Les monstres, sont là, ils ont mille pattes.


Tu t'étais jurée de ne jamais de droguer, ne voulant pas être comme tes vieux. Et pourtant, tu le fais, t'as cédé. + T'as peur du noir. Impossible pour toi d'y rester, tu paniques, t'as l'impression que tu vas y rester. + T'aimes le café. Noir. Sans sucre. Sans lait. Bien amer. + Tu ne sais que très peu lire et encore moins écrire. Tu le dis pas, t'as honte. + Si t'avais des rêves, tu voudrais être tatoueuse. Et t'aurais un chien. + T'es arachnophobe. Les monstres à huit pattes, très peu pour toi. + T'es allergique aux arachides. + T'aimes les orchidées. Mais t'as pas la main verte, et elles finissent par crever. + T'as plus de nouvelles de tes parents depuis que t'as rejoint les Six. Bonne chose ? T'en sais rien, dans le fond, ils n'ont jamais remplis leur rôle. + T'essayes d'apprendre à lire dans ta chambre. Tu mets du temps, chaque jour, mais tu te forces à le faire.