Dans la famille Fibonacci, je voudrais le père. Celui qui a donné son nom à toute la marmaille, parce que la mère ne s’est jamais remariée et que le beau-père a jamais reconnu ses gosses. Et pourtant le père, y en a qu'une de gamine qui est à lui. Et il l'a même pas connue. Parce qu'on l'a retrouvé crevé dans un caniveau, l'aiguille encore dans le bras avant que la gamine naisse. Le père, il a donné son nom et c'est déjà pas mal. Il aurait certainement pas été capable de plus de toute façon. Et si la gamine l’avait connu, il l’aurait sûrement déçue.

Dans la famille Fibonacci, je voudrais la mère. Presque aussi défoncée que le père, on sait pas trop comment c’est possible qu’elle soit encore en vie. Elle a plus de gosses qu’il n’en faut. Parait qu’elle aime encore le type d’avant, celui qui est mort y a plus de vingt ans, qu’elle s’est rabattue sur le premier qui passait et qu’elle s’est laissée faire des gamins, plus de fois que nécessaire. D’ailleurs, c’est pas sûr qu’ils aient tous le même père, parce que quand on voit son mec, on comprendrait qu’elle puisse aller voir ailleurs, c’est peut-être pour ça qu’il la cogne après tout. La mère, on l’oublie tout le temps, c’est une femme effacée, fade, sans saveur et qui tire souvent la gueule. Pour survivre elle fait des ménages mais ça rapporte pas gros, pas assez pour nourrir huit enfants, alors heureusement que Chiara elle vit plus à la maison, ça fait plus que sept assiettes de gosses à remplir.

Dans la famille Fibonacci, je voudrais le beau-père. Lui aussi c’est un minable, un peu plus que les autres même, parce que lui aussi, il se drogue et il boit mais en plus de ça il cogne fort et tout le monde y a droit, la mère comme les gosses. Il a jamais épousé la mère ou reconnu les gamins, on sait pas trop pourquoi, sûrement pour pouvoir se barrer plus facilement si ça lui chante un jour. Et pourtant, tout le monde sait qu’il se barrera pas, il irait où ? Il sait rien faire de ses mains à part donner des coups de poing. On sait pas trop pourquoi la mère le garde, elle a probablement trop peur de lui dire de partir. De quoi il vit ? Personne est vraiment au courant, il a l’air d’attendre que la vie passe. La seule chose dont on est certain à propos de lui, c’est qu’il déteste la gamine, celle qui n’est pas à lui et que c’est elle qui a dû prendre le plus de raclées dans son enfance. Mais on a jamais rien dit ou fait, parce que ça les regarde, chacun ses affaires et on aimerait pas se le mettre à dos le beau-père en plus.

Dans la famille Fibonacci, je voudrais les grands-parents. Les vieux, ils sont malades ou six pieds sous terre. Ceux du côté de la mère, on les a même pas connu, il parait qu’ils sont morts il y a longtemps. Et ceux du côté du père, on croit bien qu’ils sont dans un hôpital où pas grand monde ne vient les voir. Quand leur fils est mort, ils ont voulu prendre soin de la gamine mais la mère, elle a jamais voulu leur confier sa fille. Parait que Chiara va les voir des fois mais pas beaucoup parce que ça lui plombe le moral encore plus et elle veut pas qu’ils se rendent compte qu’elle vend son corps et même son âme. Si ça se trouve, ils sont complètement séniles, on sait pas, on demande jamais de nouvelles.

Dans la famille Fibonacci, je voudrais les frères et sœurs. Ils sont sept, ils ont entre dix sept et quatre ans et ils peuvent compter quasiment que sur eux-mêmes. C’est les plus grands qui s’occupent des autres. Ils s’élèvent seuls. Ils ne ressentent pas grand chose pour la mère et ils ont peur de leur père, on les comprend. Y a bien Chiara qui revient les voir quand elle peut pour leur filer un peu de blé qu’elle a salement gagné. Mais la grande sœur qui écarte les cuisses, elle a rien d’un modèle pour cette bande de gosses. Surtout quand elle se ramène après une passe, le nez encore plein de neige. Elle fait ce qu’elle peut pour les protéger et c’est bien le seul repère dans la vie de ces gamins. Parait que les plus vieux veulent la rejoindre mais qu’elle a dit non, on sait pas trop mais toujours est-il que c’est tout le temps le bordel dans l’appartement de la famille Fibonacci. On aime pas laisser ses enfants aller jouer avec eux, parce qu’on a peur que le beau-père rentre et les cogne aussi.

Dans la famille Fibonacci, je voudrais la fille. L’aînée, la seule qui a du sang Fibonacci finalement. Elle est un peu sauvage la Chiara, faut dire qu’elle a jamais été bien entourée. Grandir sans père, c’est une chose, mais grandir avec un beau-père comme le sien c’en est une autre. Très tôt, elle a appris à se débrouiller seule. Elle est pas très intelligente, tout le monde le sait, elle aussi le reconnaît sans peine, mais elle s’en fout c’est comme ça. La gamine elle fume, elle boit, elle se drogue, comme la plupart des gamins du quartier de toute façon. Tout le monde sait de quoi elle vit aussi, personne le dit mais c’est un secret de polichinelle : elle fait le tapin. Elle a commencé un peu par hasard, une fois où elle avait pas assez de tune pour acheter ses doses. On cherche pas à en savoir plus. Si on cherchait, ce qu’on trouverait serait pas très beau d’ailleurs. On se rendrait compte qu’elle a été récupérée par les Six il y a quelques années déjà et que c’est pour leur compte qu’elle écarte les cuisses maintenant. C’est peut-être grâce à eux cela dit qu’elle est encore en vie, elle leur doit le toit qu’il y a sur sa tête en tout cas. Puis elle a peur, depuis le jour où le chantage a commencé, parce qu’elle a pas le droit à l’erreur. Gamine désabusée qui n’a plus rien à perdre, elle attend que ce soit son tour de crever de peu importe ce que le destin lui a réservé.