BE KIND, BE GRATEFUL
Étant né troisième après une paire de jumeaux, Calvin s’est senti seul pendant cinq longues années, jusqu’à l’arrivée de sa petite sœur, Joyce. En réalité, ça aura pris quelques années supplémentaires pour qu’il voit en elle plus qu’une petite morveuse qui le suit partout, mais quand elle a fini par s’affirmer malgré son style emo douteux, leur relation s’est approfondie d’elle-même. Le brun a vécu une adolescence plutôt solitaire, mais quand Joyce a atteint l'âge ingrat à son tour, il a trouvé une alliée chez les Shelter. À deux, ils étaient presque de taille à affronter l’insolence de leurs aînés et à imiter leurs mesquineries. C’est à elle qu’il a confié ses plus profonds secrets plusieurs années durant, jusqu’à ce que la vie d’adulte, mais surtout des études prenantes chez l’un comme chez l’autre, crée une petite distance entre eux. Cal lui envoie des messages au moins une fois par jour, et c'est toujours à Joyce qu'il a envie de parler en premier lorsqu’il y a du nouveau dans sa vie, pour le peu de fois que ça arrive. Malgré les quelques copines qu’il a eu par le passé, la petite dernière des Shelter reste sa principale confidente.
Difficile de dire la même chose de ses frères. En grandissant, Calvin a réalisé qu’ils ne formeraient jamais un trio et qu’il serait toujours en retrait. Avec le recul, il s'est rendu à l'évidence qu'il n'aura jamais la même énergie que ses frangins, surtout celle pour faire tourner en bourrique leurs parents. De nature obéissant, défier l’autorité n’est pas quelque chose qui coule dans ses veines. Remettre les choses en perspective, un peu comme son père le fait dans les cours qu’il donne à l’université, est plus dans les cordes du frisé. C’est d’ailleurs ce qui l’a motivé à poursuivre des études en psychologie : toujours aller plus loin que ce que la science a découvert sur le cerveau humain et repousser les limites de ce qui est connu. Bon, en tant que tel, ce n’est pas vraiment ce qu’il fait de ses journées à l’école où il travaille, mais ses intentions sont honorables. Bien qu’il soit très cérébral, le trentenaire a un côté artistique qu’il doit cette fois-ci à sa mère. Parlant d’elle, il n'a jamais compris ce qu’elle trouvait de beau dans le prénom Calvin, sachant qu’en latin, celui-ci veut dire chauve. L’ironie du sort est qu’il risque d’hériter de la même calvitie que son père, ce qui s’agencerait très bien à son prénom. Un fait qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd puisque ses frères l’ont souvent taquiné à ce sujet, entre autres. Ça et son habitude, enfant, de trimballer un peu partout un lion en peluche. Heureusement pour Calvin qu’il ne s’agissait pas d’un tigre : on l’aurait alors très certainement comparé au jeune garçon et à son acolyte, Hobbes, de la BD éponyme qu'il lisait à l'époque. Tout jeune, Cal s’est découvert une passion pour la lecture de bandes dessinées, mais aussi pour leur création. Il s’est mis à griffonner un peu partout dans ses cahiers. Rien de très détaillé, des bribes d’histoire sans dénouement. En vieillissant, cette passion a été mise au placard, sa concentration ayant été placée sur ses études en psychologie. Il se surprend parfois à flâner devant une boutique de comics, mais il n'entre pas de peur d'en sortir les bras pleins et le portefeuille vide.
Car Calvin fait de son mieux pour économiser dans le but de s'acheter une propriété. Il aimerait bien, le jour où il rencontrera la femme qu'il épousera, pouvoir s'offrir leur maison de rêves. Et ensuite la remplir d'enfants frisés qui courent partout. À vrai dire, ce souhait est en partie exaucé, sauf que le mariage n'a jamais eu lieu, bien qu'un enfant soit né. Eh oui, Calvin est papa d'une petite fille du nom de Romy. Avec la mère, la relation a pris une tournure inattendue, ce qui fait qu'il se retrouve maintenant seul à élever leur fille une semaine sur deux, quand il en a la garde. Parfois, il se surprend à imaginer ce qu'aurait été leur vie s'ils formaient une belle famille heureuse, celle qu'il a toujours souhaité avoir. Peut-être que cette vision de la famille conventionnelle lui vient de sa propre éducation et de ce qui lui a toujours semblé comme étant le chemin à suivre. Cal a longtemps été du genre à ne pas trop se poser de questions sur ce qui correspond au droit chemin : il a fait les choses dans l'ordre parce qu'il n'a jamais pensé qu'une autre avenue existait. Pourtant, certains de ses potes de lycée ont choisi de prendre une pause avant de s'embarquer dans des études universitaires. D'autres ont même arrêté l'école après la graduation et s'en sont bien sortis. C'est juste que pour Calvin, brandir un diplôme est la preuve ultime qu'il a réussi et qu'il est compétent dans ce qu'il fait. C'est peut-être cela qui fait en sorte qu'en termes de relations amoureuses, il est souvent à la bourre. Il n'existe malheureusement pas de formation à ce sujet. Et ça, ça l'énerve.
Depuis la naissance de sa fille, mais surtout depuis qu'il est devenu un single dad, Calvin à se questionne de plus en plus sur sa vie. Il aime son travail, certes, là n’est pas le réel problème. Il adore sa fille, ça non plus, il n’y changerait rien. C’est juste qu’entre métro, boulot, dodo, il ne lui reste plus beaucoup de temps libre pour passer des moments de qualité avec sa princesse et respirer, finalement, sans sentir tout le poids du monde sur ses épaules. Un autre point d'importance dans sa vie est la religion. Pendant longtemps, il accompagnait ses parents à la messe du dimanche, même après que ses frères et sa sœur aient décidé de ne plus y aller. Pour lui, c'était sacré. D'ailleurs, il porte encore le petit pendentif de Jésus sur la croix que ses parents lui ont offert pour sa première communion. Pourtant, Calvin a récemment commencé à revoir ses propres croyances, surtout parce qu'il voit à quel point certains sont nés dans la misère et l'injustice sans avoir la chance de s'en sortir. Il se demande parfois s'il y a réellement un Dieu tout puissant qui veille sur eux. Pris de culpabilité de remettre ainsi en question son éducation, ça le pousse à retourner à l'église, où il en profite pour allumer un cierge ou deux avec une pensée pour ses élèves en difficulté. On le voit aussi souvent dans des centres communautaires à faire du bénévolat en tout genre. Calvin a vraiment le cœur sur la main, et ça, c'est indéniable.
Il s'est aussi remis à dessiner comme lorsqu'il était petit. Un graphic novel a pris forme sur le papier où l'on suit les péripéties d'un jeune garçon aux prises avec des problèmes de bullying à l'école, mais qui se découvre des pouvoirs surnaturels. Il devient alors une sorte de superhéros qui aide ses camarades à reprendre confiance en eux. Cal ne sait pas trop où ça va le mener, mais ça lui fait du bien, cet échappatoire. Même que ça commence à l'obséder parce que la poignée de personnes à qui il en a montré les esquisses l'ont convaincu que cela avait du potentiel pour être publié. L'obsession le suit même au travail, alors qu'entre deux consultations, il gribouille sur un coin de table une idée qui lui est venue en tête. Espérons juste qu'il trouvera un équilibre dans tout ça pour mieux jongler avec ses responsabilités et qu'il ne sera pas plutôt submergé par sa remise en question.