Serment d'hypocrite. || Valery

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Serment d'hypocrite. || Valery

Valery Nicholson
Valery Nicholson
Serment d'hypocrite
Avatar : Matthias Schoenaerts
Age : 46
Occupation : ancien chirurgien cardiothoracique reconverti vétérinaire. Propriétaire d'une clinique plantée à Santa Monica.
Localisation : Entre Santa Monica et Venice, où il vit. Où les Six ont leurs repères.
Affiliation : médecin des Six, l'éthique et la morale basses.
Autres :
Crédits : chandelyer (avatar et profil) | awona (signa)
   

VALERY NICHOLSON

► ft. Matthias Schoenaerts
(crédit : chandelyer)

I think my mask of sanity is about to slip.





IDENTITÉ

PRÉNOMS : Valery, Thomas.
NOM : Nicholson.
SURNOM : Rome. Une simple raillerie, à l'origine. Une pique moqueuse répétée tant de fois qu'elle a effacé tous les autres noms que ses frères de rang pouvaient bien lui donner.
ÂGE : 45 ans.
LIEU DE NAISSANCE : né le 8 décembre 1977 à Los Angeles (CA).
NATIONALITÉ ET ORIGINE : étasunien, d'origine américaine.
OCCUPATION : chirurgien cardiothoracique déchu, réinventé vétérinaire. Il fait croire à qui veut l'entendre qu'il a quitté le John F. Kennedy Medical Center par choix, entamé de nouvelles études par affection pour les bêtes, puis ouvert sa clinique par besoin d'indépendance. Seule la dernière affirmation est juste.
AFFILIATION : Médecin des Six, l'éthique et la morale franchement basses.
STATUT CIVIL ET ORIENTATION : divorcé depuis quatorze ans. Célibataire, quoique rarement seul.
CARACTÈRE

(Superficiel) Tout est toujours impeccable, dans le monde fait d'apparences de Valery. Des roues de ses motos et voitures au sol de sa maison. De ses chemises jamais froissées aux filles bien trop jeunes dont il s’entiche le temps de quelques semaines. Du verre qui protège ses diplômes à l'étiquette des vins qu'il offre. De la souplesse avec laquelle il sort sa carte bancaire au soin dont il fait preuve lorsqu’il remonte ses montres. Le quadragénaire nourrit et contrôle avec acharnement l’image d’un homme bien établi. Entre nouvelle carrière florissante, vie de quartier dynamique, passion pour les circuits et les randonnées, vacances dans des lieux paradisiaques et amour des bêtes. Une façade nette et parfaitement polie, qu'il ne supporte pas de voir rayer.

(Menteur) Loin de mentir comme il respire, Valery ne se permet jamais de tordre la vérité inutilement. Le mensonge est davantage un moyen de défense qu’une arme sur sa langue, aussi n’en fait-il pas usage à tout va. Il enjolive simplement quand fusent les questions embarrassantes. Modifie quelques détails quand vient une interrogation qui risquerait de mettre à mal sa réputation et son image s’il osait raconter la vérité. Il redistribue les rôles dans les drames de sa vie, de sorte à rendre systématiquement l’autre fautif. Il aime mieux passer pour l’homme sorti grandi de ses difficultés que de laisser entrevoir ne serait-ce qu’une facette de celui qu’il est réellement. Et tant pis si le manque de véracité broie le reste des acteurs des événements.
Sincère dans ses mensonges, dans son regard et l’émotion qu’il met dans sa voix quand il altère les faits, il est souvent difficile de remettre sa parole en question. D'autant que sa capacité à faire avaler des couleuvres à bon nombre de ses proches lui permet de les dresser en remparts inébranlables entre sa vérité et la réalité.

(Intelligent) L’esprit correctement fait, il ravissait ses professeurs, du temps de ses études, à coups de facilités académiques notables. Capable de comprendre sans peine ce qu’on attendait de lui et de s’exécuter en s’adaptant, il aurait pu s’en tirer à bon compte sans fournir le moindre effort tout au long de sa vie. Mais son besoin crasse et maladif d’être le meilleur l’avait toujours poussé à travailler et potasser plus que nécessaire pour n’avoir pas à subir l’humiliation d’une deuxième place. Et cette manie coriace se ressent encore dans son insatiable curiosité, dans ses occupations, sa productivité, ses contacts, mais surtout dans l'exigence dont il fait preuve envers le monde et lui-même.
Affreusement fier de ce cerveau qu’il considère comme son atout le plus redoutable, le vétérinaire attend de ses proches qu’ils déploient la même rapidité, la même efficacité, le même système de réflexion. Leurs échecs engendrent régulièrement une frustration qu’il n’expie que difficilement. Souvent déçu par le passé, et rarement pleinement satisfait aujourd’hui, il s’accorde le luxe de trier la majeure partie de ses fréquentations, Six mis à part, sur des critères d’élitisme intellectuel tout personnels. Valery aime s’entourer de personnes qu’il juge lui ressembler. De tronches bourrées de culture et d’idées, aux conversations passionnantes, aux connaissances différentes des siennes pour qu’il puisse apprendre de chaque phrase prononcée.

(Charmant) Le sourire agréable, la voix rayée, la culture en étendard, la courtoisie en bord de lèvres. Il campe à la perfection un rôle d’homme agréable à fréquenter, en jouant de son éducation ou de son hypocrisie pour se faire bien voir. Pire encore, apprécier. De ses voisins, de ses clients, de son banquier, de sa femme de ménage, des proches de la dernière gamine qu’il a laissée pendre à son cou. De toutes les personnes qui ne le fréquentent pas assez longtemps pour se rendre compte des failles parfois béantes - mais toujours rapidement colmatées - qui percent son masque d'idéal.

(Manque d'empathie) L’empathie est une arme entre ses mains. Un yoyo qu’il déroule au gré de ses envies et de son humeur. Une denrée rare dont il dispose, mais qu’il choisit volontairement de ne pas utiliser ou de ne distiller qu’à doses thérapeutiques pour obtenir ce qu’il souhaite. Les quelques moments accordés aux états d’âme d’autrui n’auront de but que celui-là : récolter des informations pour connaître, sur le bout des doigts, les aspérités cordes sensibles à frapper à l’avenir. Et dans ces instants précieux puisque terriblement fugaces, il force une écoute purement cognitive, jamais émotionnelle, qui lui permet d’entendre les sentiments sans s’épuiser à les ressentir, encore moins à les valider.
La nature inconsistante de son attention, d’une violence inouïe pour celui qui en fait les frais, empêche de trouver une épaule confortable et stable sur laquelle pleurer. Capable de se montrer à l’écoute une minute, Valery ne s’empêchera jamais d’envoyer paître son interlocuteur l'instant suivant, quitte à créer chez lui une nausée ou un sentiment de vertige face au vide et à la froideur dont il fait brusquement preuve. Et pourtant, chaque frustration engendrée dans le cœur de la personne lésée sera contrebalancée par la sensation illusoire d’avoir été entendu avant. Une heure, un jour, un an plus tôt. Il joue de cette dualité, s’en défend dès lors qu’on la pointe du doigt en brandissant les preuves évidentes de son empathie. Il se dissimule derrière un emploi qu’aucun homme égoïste ne pourrait faire. On ne devient pas docteur sans pouvoir comprendre les difficultés traversées par un patient. On ne se fait pas chirurgien sans songer que la personne sur le billard est un être humain avant d’être un simple cas. On ne choisit pas de refaire cinq ans d’études et d’ouvrir sa clinique de soins vétérinaires sans être sensible à la cause animale. Et du reste, ses proches font le sale boulot en évoquant sa patience avec les enfants ; l’émotion qu’un bon livre, une belle œuvre-d’art ou un film soigné créent en lui ; l’habitude qu’il a de demander à un sans-abri ce qu’il souhaite boire lorsqu’il entre dans un café pour commander un allongé à emporter ; le froncement concerné de ses sourcils lorsqu’un client lui conte une histoire crève-cœur. C’est qu’ils ne comprennent pas que l’empathie de circonstances qu'il déroule en public ne demande aucune implication réelle, seulement de perdre quelques précieuses secondes de son temps et de jouer la comédie, en échange d’une reconnaissance immédiate dont il se gave pour sa propre survie. Valery change légèrement, presqu'imperceptiblement, face aux regards extérieurs. Polymorphe, il s'adapte à ce que le monde attend de lui pour ne pas se heurter à une invalidation destructrice. Pour ne pas prendre le risque de perdre la révérence et l’appréciation de ceux qui l'entourent.

(Violent) Il y a bien longtemps qu’on ne cherche plus à le confronter physiquement ; à lui donner une raison de décocher une gifle ou d’esquinter ses jointures. Valery sait l’avantage que lui confère sa carrure et n’en use par conséquent que peu dans ses accès de colère. Par fierté, pour prouver sa supériorité intellectuelle, ou parce qu’il n’a jamais tiré la moindre satisfaction de dents crachées sur le pavé. La violence qui peut infuser dans ses veines suinte de manière plus torve, autrement palpable. Elle ne laisse jamais de trace sur la peau, ne brise pas d’os et ne noircit pas le contour des yeux, mais elle n'en est pas moins destructrice. Elle s’exprime quotidiennement dans les remarques acerbes, le désintérêt, l’empathie élastique, la culpabilisation, le besoin de contrôle … S’il a la grandeur d’âme d’accorder un compliment lors d’un moment d’égarement, il est rare qu’il ne soit pas immédiatement suivi d’une graillon de venin suffisamment subtil pour qu’il ne passe pas pleinement pour une ordure. S’il se fait attentif au ressenti d’autrui un jour, il prendra soin de couper toute preuve de sympathie le lendemain. Valery module la violence ordinaire dont il berce son entourage, de sorte qu’on pardonne ses écarts de conduite et leur trouve une justification quelconque. Et même dans ses colères les plus sourdes, mêmes dans ses phases les plus destructrices, la patience dont il fait preuve lorsqu'il écrase l'autre n'est jamais assez visible pour alerter le monde. On ne se rend souvent compte que trop tard de l'intensité avec laquelle il a broyé puis rasé celui ou celle qui lui a manqué.

(Suffisant) Égotique à souhait, placé très jeune sur un trône dont il n'a jamais voulu descendre, Valery est persuadé que tout lui est dû. Ayant toujours su ce qu’il valait - c’est à dire beaucoup plus que les autres - il rayonne d’une confiance en lui magnétique et à toute épreuve, qu’on pourrait juger démesurée si la société ne plaçait pas sur un tel piédestal les tempéraments masculins dans son genre. S’il se définit par sa réussite sociale, les marques de ses voitures, les destinations de vacances qu’il choisit ou le salaire qu’il se verse mensuellement, il existe avant tout par son travail ; aussi prendra-t-il généralement grand soin de souligner son succès professionnel, d’une manière parfois arrogante, mais qu’on peine néanmoins à réfuter. Et pour cause : sa carrière comme moteur de vie, il excelle dans son nouvel emploi au moins autant que dans le précédent, si bien qu’il est difficile de lui faire réviser son sentiment de supériorité. Personne n’a jamais pu lui prouver ou lui faire entendre que sa vanité était infondée, soit par lâcheté de ses interlocuteurs, ou parce qu’ils reconnaissaient sincèrement son talent et ne trouvaient rien à y redire. Les rares critiques négatives qui parviennent jusqu’à son cerveau portent davantage sur sa vie privée. Il les reçoit généralement avec une susceptibilité dédaigneuse et souvent immature, avant que son incapacité à se remettre en question ne les relègue au rang de remarques jalouses et infondées qu’il faut bien vite oublier.

(Loyal) En dépit de son égoïsme et de son manque d’intérêt pour autrui, Valery s’est fait fidèle aux Six bien des années plus tôt, sinon par dévouement, au moins par intérêt. Affreusement dépendant du regard des autres, il a su trouver dans les rangs des trafiquants une source constante et grandissante de validation et de respect qu’il ne faudrait perdre pour rien au monde. Conscient qu’il n'existera jamais mieux ailleurs, il se fait donc tolérant aux esprits les plus limités et se montre commode face aux membres les moins cultivés - sans pour autant chercher à élargir leurs horizons intellectuels. Il se raccroche aux capacités de raisonnement des cerveaux les mieux faits du gang et aux personnalités les plus intéressantes du réseau.
Élastique dans sa fidélité en dehors des Six, la loyauté qu'il accepte de déployer dans sa vie privée ne subsiste que dans l'attention constante que doivent lui donner ses proches ou partenaires. Capricieux, Valery se lasse et se détourne avec une facilité déconcertante dès lors que l'objet de ses pensées lui est pleinement acquis. Paradoxalement, il ne supporte pas l'idée qu'on puisse s'éloigner de lui, et fera par conséquent toujours payer le manque brusque d'intérêt envers sa personne.

(Hypervigilant) Alerte à l’extrême, il considère le monde qui l’entoure avec une méfiance presque paranoïaque. Inquiet à l’idée d’être démasqué et que s’envolent tous les avantages que sa réputation et sa place lui confèrent, Valery surveille continuellement son environnement dans l’espoir de détecter les signes des tempêtes à venir et de les éviter. Son besoin constant d’anticiper les événements et de calculer les réactions de ses interlocuteurs en font un homme particulièrement observateur. Amoureux du détail, il grave dans sa mémoire les plissements de nez réprobateurs et les haussements de sourcils impressionnés, les éclats de rire francs et les pincements jaunes et inquisiteurs des lèvres, les changements de ton suspicieux et les battements de cils respectueux qui accompagnent la déglutition de ses paroles. Cette manie de relever le moindre élément lui permet de comprendre son cadre pour mieux l’appréhender, savoir ses limites, ses règles, et comment s'y adapter.

(Vrac) Aimant à moustiques, il aurait dû y penser avant de s’installer en bord de rivière. • Allergique aux acariens, désensibilisé il y a une bonne dizaine d’années. Ça ne l’empêche pas d’avoir le nez qui coule dès qu’il s’endort entre deux coussins bourrés de plumes. • Capable de fermer l’œil n’importe où, quel que soit le bruit, le confort ou la luminosité. Il tient cette vieille habitude, devenue réflexe, de ses années en médecine. • Habituellement frais au réveil, alerte et étonnamment peu ronchon au saut du lit, qu’il ait dormi huit heures de suite ou trente minutes seulement. • Ami des bêtes, si les chiens et chats sont supposés cerner facilement les personnes crasses, leur radar se fait étrangement dysfonctionnel face à lui. • Amateur de photographie, il arrive encore de temps à autres qu'il sorte ses vieux argentiques. • Féru de vitesse, pour s'aligner au rythme de ses pensées. Il oscille entre limitations très rarement respectées au volant de ses voitures, pointes d'accélération à la moindre occasion pour faire cracher le moteur de sa deux-roues, et circuits sur lesquels il use les pneus de sa moto de course. • Une écriture manuscrite déplorable, résultat de toutes ces années d'études puis de travail à l'hôpital, à gratter beaucoup trop de papier pour le bien de la planète. • Privilégié, conscient et satisfait de l'être, il refuse qu'on touche à ses avantages et préfèrera par conséquent soutenir une droite conservatrice. • Utilisateur aguerri d'assistants vocaux, il connaît tous les secrets de Siri et d'Alexa. • L'italien comme deuxième langue, un héritage tenu de son père, amoureux de ce pays, de son histoire et de sa culture. L'espagnol parlé sans peine lorsqu'il s'accorde des vacances au Mexique.


SERMENT D'HYPOCRITE

Serment d'hypocrite. || Valery RKe9gXf


Chapitre 1 : Cornelia

Il n'y avait plus qu'au soir de Noël et à l'anniversaire de leur mère que Cornelia se rappelait qu'elle avait un frère, et qu'elle daignait sortir du mutisme juge et dédaigneux dans lequel elle s'était terrée quinze ans plus tôt. Dernier cadeau qu'elle lui faisait encore, par charité chrétienne ou pour ne pas briser le cœur de leur génitrice. Le reste du temps, Nel jurait être fille unique. Valery, lorsqu’on lui posait la question, répondait en revanche et sans honte qu’il avait une sœur aînée. Il précisait généralement, en haussant les épaules pour contrebalancer l’expression de regret mêlée de tristesse qui faisait se plisser la commissure de ses lèvres, qu’elle ne lui parlait plus. Et quand on lui demandait quelle querelle avait bien pu séparer deux enfants qui avaient été si proches, il racontait l’histoire de l’homme que sa sœur avait aimé, en dépit de la manière dont il la considérait. Il dressait le portrait d’une relation difficile et destructrice : les heurts, les larmes, les bleus, la peur, l’emprise. Cette volonté qu’il avait eue de la couper de son monde et de ses repères familiaux. Il parlait de leurs fils - ses neveux -, de la fragilité de leur vie, de leurs ambitions de gamins et de ce qu’il aurait donné pour leur épargner le père qu’ils avaient eu. Il terminait d’ordinaire par exposer ce jour charnière où le lien fraternel s’était brisé ; comme il s’était senti bouillir en entendant son beau-frère rabaisser la jeune femme, et qu’il n’avait pu retenir la gifle à déraciner une montagne qu’il lui avait collée pour le faire taire. L’esclandre passée, la fierté de son époux ramassée, l’aînée des Nicholson avait préféré se ranger du côté conjugal. Comment la blâmer ? quand elle avait passé vingt ans de sa vie sous la coupe d’un monstre, rendue aveugle par les faux sentiments dont il l’avait si longtemps bercée. Valery ne pouvait lui tenir rigueur de n’avoir su ouvrir les yeux quand il l'aurait fallu ; il se contentait de s’en vouloir, de regretter d’avoir laissé ce poison s’insinuer dans l’existence de sa sœur. Et il espérait qu’elle trouverait un jour la force de se défaire des œillères que son mari avait cousues au bord de ses cils.

Ce qu’il ne mentionnait pas dans sa fable - toujours la même pour mieux l’ancrer dans la réalité -, c’était la haine qu’il vouait à Cornelia, et le dégoût et la crainte qu’il lui inspirait en retour. Nelly, comme il aimait l’appeler pour la voir se tendre de colère et d’inconfort, avait été la première à le percer à jour. Il n’avait eu de cesse, depuis, de tenter de broyer son esprit et ses souvenirs pour modeler une version rectifiée du passé dans laquelle il serait présenté sous son meilleur jour. Le seul qu’il tolérait.

Cette guerre intestine, qui ne concernait qu’eux et ne se voyait que lorsqu’ils étaient seuls, installés l’un en face de l’autre à se contempler en chiens de faïence, faisait rage depuis si longtemps que ni l'un, ni l'autre ne parvenait à se souvenir de leur complicité d’antan. Ils s’étaient pourtant entendus, gamins. Avant que la compétition nourrie par leur mère ne les sépare. Avant qu’Avril ne redistribue les rôles de la comédie dramatique qui servait de toile de fond à sa propre gloire frustrée, en se fichant éperdument de l'avenir de la relation de ses enfants.



Chapitre 2 : Avril


Avril Hutton-Nicholson n’avait jamais eu beaucoup d’amour à dispenser. Ce n’était pas qu’elle en manquait, mais elle en accordait tant à sa propre personne, et s’en satisfaisait si bien, qu’il lui était presque inconcevable de détourner ne serait-ce qu’un peu de l’attention qu’elle se portait pour en bercer quelqu’un d’autre. Elle n'avait jamais témoigné beaucoup d'affection à ses amants du temps de son adolescence, et n'en offrit pas davantage à son époux quand elle fut mariée. Simon Nicholson, historien de l'art obnubilé par ses livres et enseignant-chercheur passionné de Rome antique, s'était toujours étonnamment contenté de la manière dont sa femme se fermait à et dans l'intimité, quand le monde extérieur ne pouvait plus la porter aux nues et qu'il ne restait que lui pour l'aduler. Estimant davantage les rapports intellectuels que charnels, il s'était pourtant rassasié sa vie durant de la curiosité et de la culture de sa moitié, seules preuves d'attention qu'elle offrait sans égoïsme et sans limite à qui se montrait un tant soit peu enclin à boire ses paroles. Autrement pingre dans ses sentiments, Avril ne s'était résolue à faire des enfants que par convention sociale. À défaut de se sentir portée par l'instinct maternel par lequel toutes les femmes de son entourage se définissaient, elle avait appris à se montrer superficiellement attentive aux besoins de sa progéniture pour tirer avantage de cette charge conséquente : en poussant successivement Cornelia puis Valery à l'excellence. De sorte que leur réussite éclabousse celle à qui ils devaient tout.

Les nombreux accomplissements des petits, recensés sur pellicule et développés en noir et blanc, furent condensés en neuf recueils numérotées par année par une Avril réinventée photographe. Tranches de vie rassemblait les premiers pas de Cornelia et l’entrée à l’école de son frère ; les cabrioles de sa gymnaste de fille et la manière dont le cadet usait ses doigts sur les claviers des pianos qui croisaient sa route ; la nervosité anxieuse de son aînée face aux clowns des grands cirques du pays, et le casque que Valery laissait indolemment pendre au guidon de son vélo. Elle fit encadrer les évidences de son succès en tant que mère, et exposa ce quotidien idéalisé de femme attentionnée et présente pour ses enfants à Los Angeles puis New York, Milan puis Rome, Londres puis Paris, et dans toutes les villes que son nom, le bras long de son père ou la réputation de Simon lui permettaient d’effleurer.
Ses clichés lui offrirent, une décennie durant, la reconnaissance et l’admiration que son égo réclamait avec tant d'ardeur. Jusqu’à ce que la carrière d’athlète de Nelly ne soit avortée, et qu'en se blessant, la gamine ampute violemment une part de l'attention qu'on offrait à l'artiste. Les applaudissements s’effacèrent lentement autour de l'aînée des Nicholson, avec eux la place qu’elle occupait dans l’objectif de sa génitrice. Si Avril s’obstina un temps à créer une série dans laquelle son fils campait le personnage principal, les interrogations critiques soulevées par l’absence de Nel eurent tôt fait de la dissuader de continuer. Elle concentra dès lors son appareil photo sur d’autres sujets que sa famille, et son succès s’estompa peu à peu.

Cornelia, qui avait cru neuf ans durant que l’amour de la femme qui l'avait mise au monde serait éternel - pourvu qu’elle s'en montre méritante -, fut rapidement jugée responsable du manque d’épanouissement maternel. L'affection sous conditions d'Avril se dissipa lentement, s’éteignant tout à fait quand aucun regard extérieur n’était là pour l’allumer, ne vivotant que plus dans l’hypocrisie des sorties publiques. Ce n’était pas qu'elle haïssait sa première née. Elle avait simplement perdu toute raison de lui offrir inutilement le peu d'intérêt pour autrui dont elle était capable. Progressivement, le maigre espace devenu libre dans son cœur fut rempli par le benjamin ; et Valery s'en accommoda si bien, s'étendant volontiers en prenant tant de place dans l'égo de sa mère, qu'elle ne jugea plus jamais nécessaire d'en accorder à qui que ce soit d'autre.


*


Dès lors, Avril aima son fils comme on aimait un prodige : avec toute l’intensité du monde, en envisageant les lauriers et la gloire qui découleraient de sa réussite. Il y en eut tant, au-delà de ses espérances, qu’elle s’en trouva presque submergée. Ils s’entassèrent dans les vitrines toujours impeccablement nues de poussière du salon ; s’inscrivirent sur les bulletins scolaires et les lèvres des instituteurs ; brillèrent dans le regard du directeur de l’établissement scolaire des enfants lorsqu’il souleva l’idée de faire sauter sa 4th grade au cadet ; firent se plisser d'amertume les lèvres jalouses des mères-ennemies, et de douceur amusée les lippes des collègues de son père, lorsque le gamin scandait qu'il serait maître de conférence lui aussi. Ils déclenchèrent, surtout, des tonnerres de félicitations, des roulements orageux d'applaudissements, et les flashs d'éclairs des clichés que l'ancienne photographe prenait sans plus chercher à les exposer. Uniquement pour garder sa fierté dans son cœur ; et au-dessus de la cheminée une preuve supplémentaire de ce qu'elle était parvenue à accomplir.

Les décharges d’attention dont on bombarda le plus jeune des Nicholson furent un combustible tel, qu’il ne voulut bientôt plus se nourrir autrement. L’omniprésence d'Avril, quand bien même elle combla une partie de la faim qui lui tenaillait le ventre, ne fut jamais suffisante à le rassasier pleinement. Valery trouva donc son réconfort dans la validation des autres. Non des enfants, de ses camarades de classe ou de ceux qu’il pouvait croiser dans les couloirs de l’école de musique, puisqu’il les estimait à peine ; mais dans celle des adultes. De ces esprits parfaitement faits qu’il adorait et révérait avec la hâte de celui qui désirait ardemment vieillir plus vite pour obtenir la crédibilité que son âge lui refusait encore. Pour se trouver enfin à leur égal.
L’acharnement qu’il mit donc à s’illustrer davantage puisa racines dans la nécessité d’exister aux yeux des grands, dont les regards s’avérèrent infiniment plus satisfaisants et vitaux que les encouragements quelque peu vides en substance de sa propre mère. Et s’il dut faire quelques efforts aux premiers temps pour s’assurer que son travail soit impeccable, l’exercice devint bientôt une habitude. L’habitude une manie dont il ne chercherait pas à se débarrasser, même avec les années.

Perfusé par les compliments, les notes impeccables, les œillades envieuses des autres gamins puis adolescents, ou les remarques pleines d’ambition et d’espoir de ses professeurs, Valery se fit malléable. Juste assez changeant pour correspondre aux attentes des figures adultes qu’il idéalisait tant ; somme toute assez centré pour ne pas se perdre complètement. Quoique jeune, il comprit la nécessité de s’adapter pour ne pas couper le cordon d’alimentation. Il se composa un masque d’hypocrisie de circonstances qui lui permit de dissimuler le pathétisme et la vanité de son besoin de considération. Et brusquement, quelque part entre un récital de piano, un concours de mathématiques et un sursaut de jalousie engendré par une réussite quelconque de Cornelia, il bascula dans une recherche constante de reconnaissance et d'attention dont il ne sortirait jamais réellement.



Chapitre 3 : Lina


Il ne parlait plus que rarement de Lina aujourd'hui, et jamais sans forcer dans sa voix une nostalgie propre aux premiers amours. Il évoquait alors le regard franc et perçant de la jeune femme, rempli d'une curiosité qui avait longtemps fait écho à la sienne et l'avait irrémédiablement et immédiatement attiré. Valery aurait pu redessiner de tête l'angle de sa nuque, la longueur de ses mèches noires et les ondulations désordonnées qu'elles formaient entre ses omoplates, la première fois qu'il l'avait vue. Les années n'avaient rien retiré au souvenir de la nervosité qui agitait ses mains, ou de la manière dont elle l'évacuait en faisant claquer le ressort de son stylo au point d'en agacer ses voisins d'amphithéâtre. Il se rappelait encore avec une étrange précision les courbes de son écriture. La façon dont elle avait changé à l'approche des examens de fin de semestre puis de troisième année de biologie à l'Université d'Harvard. Les grandes boucles de ses lettres avaient perdu leur définition et leurs contours dans les révisions incessantes, les heures d'insomnie, la fatigue des nuits dévorées par les livres à apprendre par cœur, le manque de concentration que la présence de l'autre induisait, la discipline éreintante qu'ils devaient s'imposer pour ne pas ruiner l'avenir qu'elle s'imaginait composer à deux - et qu'il taisait vouloir faire sans elle -, en s'envoyant en l'air quand ils auraient dû se limer les dents sur leurs cours.

Ils s'étaient soutenus acharnément au cours des deux dernières années de leur premier cycle d'études. À chaque examen, à chaque moment de doute qu'éprouvait la jeune femme, chaque instant d'hésitation qui lui faisait remettre en question la légitimité de sa présence, chaque crise de larmes que Valery devait balayer des heures durant en lui promettant qu'elle méritait sa place. Il lui avait tenu la main dans toutes les difficultés, dans la peur de l'échec et l'angoisse qui rétrécissait son écriture au point que les bouquins d'apprentissage de la jeune femme ne soient plus griffés que de pattes de mouches illisibles, à l'approche des concours d'entrée aux écoles de médecine.

Si elle avait soulevé plus d'une fois la possibilité de poursuivre l'enseignement ailleurs, il avait systématiquement trouvé les mots pour clamper ses ailes. L'empêcher d'esquisser le moindre pas dans une direction qu'il ne voulait pas prendre. Égoïste, le jeune homme avait imposé ses termes et ses conditions pour ne pas s'éloigner de l'objectif qu'il s'était fixé, une dizaine d'années plus tôt.
Ses rêves infantiles d'être photographe comme sa mère ou conférencier à l'image de son père s'étaient envolés à l'adolescence. Aspirés à jamais dans la chambre d'hôpital que Simon avait occupée le temps qu'on remette son cœur en état. Le silence religieux qui avait suivi l'entrée dans la pièce du chirurgien avait frappé le gamin avec toute la grâce d'une révélation divine. Il s'était voulu enserré dans une blouse à son tour. Il s'était imaginé respecté et adulé comme seul pouvait l'être un homme qui sacrifiait son temps et sa vie pour sauver celle des autres. Lui qui n'avait travaillé jusqu'alors que pour rafler les premières places et par amour des choses bien faites avait ajouté une cause réelle à ses efforts, ce jour-là : la recherche de gloire. Avec elle, de pouvoir. Mais ses ambitions d'enfant, devenues celles d'un jeune adulte, furent éternellement limitées par son incapacité à exister ailleurs que dans le regard d'autrui. Par trop dépendant du confort rassérénant que la présence de son entourage assurait, Valery ne prit jamais la peine de quitter la Californie pour se construire une vie ailleurs, sans la validation de ses proches, de sa famille ou des Six dont il avait rejoint les rangs peu de temps après son entrée en deuxième année de biologie. Il n'eut de chance que celle de pouvoir intégrer, à domicile, l'un des meilleurs programmes du pays.

Il choisit pour eux leur avenir, l'encouragea dans les concours pour lui faire oublier l'angoisse qui mordait ses entrailles. Il ravala même son amertume quand elle s'illustra en décrochant un meilleur score à l'examen de sélection de l'école de médecine de l'UCLA. Valery peignit sur ses lèvres le sourire hypocrite de l'homme fier et ravi du succès de sa compagne, quand son âme ne cherchait déjà plus qu'à la torpiller pour essuyer l'humiliation d'avoir à se tenir dans son ombre. L'esprit si beau de Lina, qui l'avait tant attiré durant quatre ans, devint tout à coup un ennemi à broyer. Rempli d'une colère sourde et insidieuse, il s'efforça d'user progressivement l'étudiante. Il régula la fatigue et la concentration de sa petite amie à l'approche des examens, oscillant entre crises de jalousie, longues journées à l’ignorer, nouveau souffle dans lequel il se faisait aimant comme au premier jour, descentes en piques lorsqu'il lui martelait qu’elle n’avait intégré le second cycle que par son aide. Lentement, il fit naître en elle une anxiété qu’il déclenchait du bout des doigts : dans une caresse ou son absence. Du bout des lèvres : dans une pique chargée de violence ou un baiser sonnant faux. Jusqu’à ce que l’esprit de la brune flanche sous la pression combinée de son amant, du doute qu’il avait vissé dans son crâne, et d’études affreusement demandeuses.

À bout de souffle, Lina abandonna toute ambition dans l'appartement qu'ils partageaient et retourna vivre chez ses parents. Il ne chercha pas à la revoir. Elle ne perdit jamais la triste habitude de demander aux rares amis qu'ils avaient encore en commun ce qu'il était advenu de son premier amour, même vingt ans plus tard.



Chapitre 4 : Charlotte


Charlotte avait méticuleusement planifié son futur, de son entrée au lycée. Lorsqu’elle l’évoquait, lorsqu’elle déroulait doucement le fil de cet avenir qu’elle s’imaginait, elle le faisait avec une honnêteté si saisissante qu’il était impossible de douter de son ambition ou de sa réussite prochaine. Intelligente et pleine de ces ressources que seuls savaient déployer les enfants qui n’étaient pas nés une cuillère en argent entre les dents, elle s’était toujours donné les moyens d’arriver à ses fins étudiantes. En multipliant les activités scolaires, en grappillant des points où elle le pouvait, en se hissant en tête des classements de son école. Elle s’était offert lentement, semestre après semestre, le luxe d’un dossier idéal qui devait lui ouvrir les portes des plus grandes universités quand serait en âge d’intégrer le supérieur. Valery, en la rencontrant, avait dû tomber amoureux de la manière dont elle idéalisait les couloirs poussiéreux des vieux bâtiments de l’Ivy League.

Il avait aimé son rire franc et ses grands yeux verts bien avant de lui parler et de se rendre compte de la profondeur de ses pensées et réflexions. Il avait adoré la manière dont son sourire emplissait l’espace et couvrait le bruit du bar que les résidents en chirurgie générale du Ronald Reagan UCLA Medical Center investissaient pour oublier l’éreintement des longues et interminables veilles ; et que Charlotte fréquentait, en compagnie de quelques amies, pour évacuer la pression qui pouvait faire ployer ses épaules quand elle pensait au lendemain. Elle usait et abusait d’une fausse carte d’identité qui la donnait majeure, les soirs de week-end, prétextant réviser puis dormir chez une camarade de classe pour ne pas inquiéter des parents trop soucieux de la morale et de la réputation de leur fille. Elle ne leur présenta Valery que six mois après leur rencontre, quand il eût terminé d’enfoncer dans son esprit qu’ils formaient un couple idéal. Qu’ils étaient faits pour être ensemble. Elle se rappellerait sans doute éternellement le naturel avec lequel cette pensée parasite s’était logée derrière son front pour devenir une vérité absolue, inaltérable. Trop jeune, influençable à souhait, elle s’était rapidement laissée aller à songer qu’ils étaient parfaitement accordés. Alignés en tous points dans leur vision de l’avenir, leurs envies, jusqu’à leur besoin constant d’apprendre du monde qui les entourait. Dessinés l’un pour l’autre, destinés l’un à l’autre. Elle avait cru tant de fois que Dieu avait guidé ses pas vers son amant, qu’elle avait fini par s’en faire une conviction impossible à effacer. Dix-huit ans plus tard, en dépit de tout, la jeune femme lutterait encore contre les réflexes sordides qu’il avait fait naître en elle, et qu’il continuait d’alimenter de temps à autres par ennui ou plaisir de se rappeler à son bon souvenir.

Le futur chirurgien remplissait toutes ses attentes : brillant et amoureux, attentionné et généreux. Il avait pris soin de s’insinuer dans ses veines, en véritable drogue, pour la rendre pleinement dépendante de ses marques d’affection ou de l’attention qu’il lui accordait au gré de ses envies. Poussée à se dépasser pour qu’aucune ombre ne vienne ternir la perfection de son parcours scolaire et l’image de son compagnon, Charlotte apprit à vivre dans le seul but d'avancer vers le futur qu'il leur projetait à Los Angeles. Sans doute, les plans tirés sur la comète et les rêves de gloire du couple, viciés par l’ambition oppressante de Valery, se seraient-ils concrétisés rapidement au rythme épuisant qu'il imposait à leur relation. Mais la jeune femme eut l'indécence de tomber enceinte, enrayant soudainement une machine qui n'avait pas été développée pour subir le moindre heurt.

Il balaya l’idée de garder l’enfant avec le détachement qu’elle lui connaissait par cœur, depuis un an qu’il l’en congratulait par à-coups et qu’elle trouvait à excuser ce trait de sa personnalité. Le portrait de leur future famille, peint avec les mois et les beaux discours du médecin, s’était pourtant gravé dans l’âme de l'adolescente. L’idée première s’était mue en rêve avec le temps ; le rêve en but ; le but en réalité. Travaillée par l’opportunité titanesque de faire un pas de géant vers leur lendemain commun - et renforcée dans ses certitudes par ses convictions religieuses et sociales -, Charlotte refusa catégoriquement de se défaire du bébé.
Brusquement, aussi simplement que cela, Valery, qui aurait dû fuir et la laisser ruiner seule l’avenir qui lui tendait les bras, se retrouva pris au piège d’un ménage dont il n’avait jamais voulu. Elle se maria par amour, il l’épousa pour effacer la menace de poursuites judiciaires qui planèrent au-dessus de sa tête lorsque le père de sa compagne fut au courant de l’effroyable nouvelle. Le juge valida leur union en ne contrôlant que d’un œil désintéressé les signatures des représentants légaux de celle qui n’était finalement qu’une gamine. Ils ne célébrèrent pas en grandes pompes, tinrent tout juste une réception pour que leurs deux familles se rencontrent. Le chirurgien en devenir l'installa dans un appartement de la métropole payé trop cher pour les beaux yeux d’une femme dont il ne voulait plus, mais qu’il devrait apprendre à tolérer, un sourire hypocrite aux lèvres.

Tous les sentiments qu’il avait pu nourrir pour elle s’effacèrent à mesure que son terme approchait, comme son attention se tournait vers le bout d’être qui grandissait en elle. Valery se lassa progressivement de son rire, de ses lèvres, de sa conversation qui perdit l'intérêt qu’il lui avait connu jusqu’alors pour ne plus figurer que des inquiétudes quant au rôle de mère qu’elle aurait à assumer. L’université ne reparut sur ses lippes qu’en lointain objectif qu'elle concrétiserait quand leur enfant serait assez grand. Il apprit à haïr leur fille bien avant sa naissance. Un peu plus chaque fois que sa femme idéalisait sa venue au monde et la famille parfaite qu'ils formeraient quand elle serait là.  



Chapitre 5 : Rosalie


Il y avait toujours un gouffre de regret qui s’ouvrait dans son regard à l’évocation de Rosalie. Valery n’évoquait jamais sa fille sans s’enserrer de son rôle d'homme et de père blessé par son absence. Il y avait quatorze ans déjà que Charlotte avait demandé le divorce, et autant d’années qu’elle avait emporté leur enfant avec elle à San Diego, en le privant virtuellement du droit de visite que le juge avait pourtant accordé. Il se contentait de veiller sur elle de loin, en soutien financier constant, en pilier psychologique lorsqu’elle en avait besoin - mais elle ne s’appuyait jamais sur lui. Le cœur lourd, il se contentait de prier que son unique enfant lui pardonne, un jour, d’avoir cru préférable de la laisser auprès de sa mère quand il paraissait évident, avec le recul dont il disposait aujourd’hui, qu’elle aurait été bien mieux lotie avec lui.

Valery ne mentionnait jamais son adolescente sans dévoiler les difficultés éprouvées par Charlotte après l’accouchement. Comment son esprit s’était fracturé, dans ce qu’il avait naïvement cru être une dépression post-partum. Il listait les signes qui auraient dû lui indiquer le mal-être plus profond de son épouse, et se maudissait de n’avoir rien su voir. Absorbé par ses études, la fin de ses années de spécialisation en chirurgie cardio-thoracique et la nécessité de décrocher une place permanente au Ronald Reagan pour subvenir aux besoins de sa petite famille, il n’avait pas noté que la psyché de sa femme basculait à jamais et s'était contenté de croire, ou peut-être d’espérer, qu’elle finirait par aller mieux.
Il insistait sur la manière dont il l’avait suppliée de se tourner vers un professionnel, quand leur fille était entrée en cycle primaire et que ses épisodes s’étaient fait plus nombreux, plus rapprochés. Il parlait avec amertume de toutes ces fois où il avait voulu se battre pour récupérer la garde de Rosalie, sans parvenir à aller au bout des procédures, de peur que l'éloignement de la petite ne donne à Charlotte une raison de commettre l'irréparable. Il glissait alors sur les soupçons de trouble bipolaire tardif qu'il lui avait trouvé, et attendait d'entendre le cœur de ses interlocuteurs se serrer de compassion. La conversation mourait généralement ainsi : quand il assurait qu’une part de lui aimait encore cette femme autrefois si curieuse et intelligente, en dépit de tout ce qu’elle lui avait fait subir.

Excellent conteur, il taisait naturellement le soulagement de leur départ autant que les raisons qui avaient poussé Charlotte à demander le divorce. Il se faisait muet quant à relation qu’il avait entamée avec Annaleigh, alors que Rosalie n’avait pas six mois, simplement pour satisfaire son égo malade du manque d’attention ; la blessure crasse de sa fierté quand on lui avait remis les papiers du divorce ; la manie qu’il avait eue de vouloir récupérer son épouse, au fil des années. La colère qui lui mordait les entrailles chaque fois qu’il voyait la somme de la pension alimentaire disparaître de son compte bancaire ; et qu’il n’avait investi dans une maison si grande à Venice, en pleine crise des subprimes, que pour donner envie à la jeune mère de lui revenir. Il ne mentionnait jamais la violence avec laquelle il se permettait de faire irruption dans leur vie, quelques fois l’an, en se présentant à leur porte les bras chargés de souvenirs inexistants et d’espoirs hypocrites qui mouraient aussi vite qu’ils ne naissaient. Rosalie ne voyait plus son père qu’en ces rares occasions. Elle ne faisait jamais l'effort d'entrer en contact avec lui, autrement. Elle avait appris à le mépriser bien avant de le connaître.



Chapitre 6 : Kate


Kate irradiait d’une confiance en elle qui, loin d’être arrogante, témoignait seulement des nombreuses batailles qu’elle avait dû livrer pour se tenir entre les murs de l'hôpital. Consciente qu’elle n’avait pas encore gagné la guerre et ne remporterait certainement la victoire que bien des années plus tard - quand d’interne, elle deviendrait résidente, puis finalement chirurgienne -, elle appréhendait chaque journée avec une humilité déconcertante, se montrant plus appliquée à la tâche qu'un bon nombre d'autres étudiants fraîchement sortis de l’école. Sa blouse telle une seconde peau, à croire que le tissu fade qui devait la distinguer des autres grades hiérarchiques avait été conçu pour embrasser chaque courbe inexistante de sa silhouette longiligne, elle avançait obstinément malgré l’épuisement qui fauchait les rangs, garde après garde. Comme chaque nouvel arrivant, elle avait classé les praticiens selon ses préférences personnelles et professionnelles, en priant pour se faire un mentor de celui ou celle qui s’était hissé en tête de sa liste mentale. Valery, jeune chirurgien cardio-thoracique qui excellait pourtant dans son art, n’avait pas su se glisser sur la plus haute marche du podium. Et ce fut certainement par blessure d’égo qu’il s’acharna donc à renverser le piédestal sur lequel il ne se trouvait pas, pour se faire une place de choix dans l’esprit de la jeune femme.  

D’abord aveugle à sa présence, puisque concentrée à l’extrême sur ses tâches et l’édification de barrières supposées la préserver du quotidien difficile de l’hôpital, Kate ne réalisa pas immédiatement l’attention qu’on lui portait. Le soutien et l’empathie forcés par Valery prirent quelques mois à percer sa carapace. Ce ne fut que lorsqu’on lui fit remarquer qu’il n’avait que peu de temps à accorder aux bleus de l'UCLA Medical Center, et qu’elle manquait par conséquent une chance rare en l’ignorant, qu’elle consentit à se faire moins sourde à sa voix. L'interne sortit le nez des dossiers de ses patients et des livres qu’elle potassait en boucle, dans sa recherche obsessionnelle de perfection, pour s’ouvrir à l’aide de celui qui ne demandait qu'à la prendre sous son aile.

Il ne l’innonda jamais d’assez d’encouragements ou de conseils pour que son attitude paraisse réellement inappropriée. Juste ce qu’il fallait pour qu’elle se pense au-dessus des autres. Valery sculpta sous sa blouse un sentiment lent et progressif de supériorité, qu’il détruisait selon son humeur en la plaçant en compétition avec un autre interne qu'il considérait, de fait mais sans l'avouer, bien plus doué que sa protégée. Il fallut quelques mois pour que sa favorite se rende compte de la facilité avec laquelle elle progressait lorsqu’elle se tenait dans l’ombre de ce mentor. Et doucement, le lien de tutorat qu’ils avaient établi prit une direction torve : Kate glissa dans une relation destructrice dont elle porterait encore les séquelles, bien des années après leur rupture.

Elle encaissa de plein fouet les remarques cinglantes, les moments de célébration, les humiliations et la façon dont il braquait tous les projecteurs sur elle puis sur lui chaque fois qu’elle s’illustrait. Tenue par son ambition, Kate courait plus qu’elle ne marchait vers les promesses qu'on lui esquissait. S'il lui garantissait une place à ses côtés dans le bloc opératoire un jour, il trouvait systématiquement une excuse pour se passer d'elle à quelques heures de l'intervention ; soit qu’elle manquait encore d’expérience, soit qu’il n’avait pas eu son mot à dire dans la sélection de l’équipe. Elle perdit patience et confiance dans un ultime mensonge, quand il nota le tremblement malhabile de mains qu'ils savaient tous deux parfaitement assurées, et recommanda le collègue qu'il faisait courir depuis toujours au même rythme qu'elle. La gifle de confusion qu'elle essuya ce jour-là, si elle aurait déjà pu être suffisante à l’assommer, parut douce en comparaison de la claque verbale et publique qu’elle dut avaler lorsqu’elle le confronta. Son étonnement passé, la jeune femme parvint à discerner le jour entre les doigts que son amant tenait si fermement appuyés sur ses paupières pour lui gâcher la vue. Touchée en plein cœur, frappée dans son honneur mais du reste plus clairvoyante qu’elle ne l’avait jamais été, elle nourrit une hargne mauvaise qui la poussa à se tourner vers le conseil d’administration pour exprimer la sensation crasse d’avoir été manipulée autant qu'abusée. L’assemblée balaya sa plainte comme elle en avait éloigné bien d’autres, en cachant sous le tapis les nombreux débordements du chirurgien cardio-thoracique.

On plaça Valery en examen lorsque Kate se tourna vers d’autres autorités, moins bancales et moins biaisées que celles de son lieu de travail. L’hôpital, pour étouffer le scandale, éloigna le praticien en le mettant à pied le temps que l’affaire soit résolue. Sa licence et son droit d’exercer temporairement suspendus, il eut tout le temps du monde d’organiser une défense juridique et une attaque de représailles. La jeune femme abandonna les procédures légales quatre mois seulement après les avoir lancées, quand elle n’en put plus des menaces qui planèrent sur sa carrière et de celles que les Six laissèrent miroiter quant à sa simple existence. Elle craindrait encore, presque une décennie plus tard, de recroiser la route de son ancien partenaire ailleurs que dans les couloirs sous surveillance de leur lieu de travail.

Il récupéra son droit de toucher un scalpel et sa place à l'hôpital, mais sa fierté fut si malmenée qu’il ne parvint pas à digérer l’affront comme il l’aurait fallu. Lui qui s'adaptait d'ordinaire à toutes les situations se montra sous un jour nouveau, plus franc qu'il ne l'avait jamais été. Face à sa mauvaise foi et aux pressions exercées par quelques professionnelles venues soutenir la voix muselée par la crainte de Kate, le conseil disciplinaire de l’établissement de santé trancha pour qu’on lui montre du doigt le chemin de la sortie. Orgueilleux à l'extrême, au point de refuser de s’excuser et supplier qu’on lui accorde une ultime chance, le chirurgien raccrocha sa blouse, persuadé de pouvoir retrouver une position de choix dans une autre clinique de la ville. Mais sa réputation le précéda au Cedars-Sinaï, le poursuivit à San Diego, se présenta bien avant lui à San Francisco. S'il aurait dû se réinventer une carrière à l'autre bout du pays, où la tache sur son dossier avait moins d'importance, il se montra incapable de s’éloigner de son univers. Ses proches et les membres du réseau l'enchaînèrent aux terres de son enfance, au point de lui faire abandonner son rêve de toujours. Vexé comme seul pouvait l’être un homme qui ne vivait que dans le regard des autres, Valery avorta les quarante années d'excellence qui l'attendaient encore pour se faire étudiant à nouveau.



Chapitre 7 : Holland


Il fut tant soufflé par l’irruption d’Holland dans son monde en reconstruction, que les fondations de sa nouvelle vie manquèrent être emportées. Arrachées par l’air de tempête trop jeune pour lui de l’étudiante, son tempérament d’électron libre et l'ouragan de génie qui faisait constamment rage au fond de ses orbes, et qu'il se prit à vouloir voir grandir encore plutôt que de chercher à le canaliser ou l’étouffer. En un battement de cils, en un sourire mutin, elle fit vaciller le socle des certitudes de l’ancien chirurgien pour le laisser pendu à ses lèvres, désireux de posséder tout ce qu’elle était déjà et serait le lendemain. Généreuse comme une bombe qui avait contenu trop longtemps ce qu’elle avait à offrir et menaçait à présent d’éclater, la jeune femme lui donna tout, en défaisant progressivement ses réflexes. Elle déjoua ses manies, musela ses habitudes, fit taire ses travers pour composer avec lui l’ébauche d’une relation équilibrée qu’ils voulurent tous deux longue.

Sa simple présence aida à calmer la blessure orgueilleuse et encore suintante de son amant ; à suturer l’affront de l’avortement de sa brillante carrière. Sa démission contrainte de l’hôpital, loin de faire l'effet d'un souffle nouveau, avait profondément entamé le moral de Valery, au point de le pousser sur une pente glissante. Il s'était raccroché à ses études vétérinaires, quand son âme crevée de frustration et de colère menaçait de tout envoyer paître. La chute libre, vertigineuse dans l’estime de certaines mauvaises langues, ne fut cependant que partiellement guérie par l'excellence de ses résultats. Il dut s'affairer à compenser sa ruine professionnelle et égotique autrement, sinon aux yeux du monde, au moins à ceux des Six lorsqu'ils perdirent le médecin qui avait pris soin d’eux durant des années. Valery récupéra une place qu’il avait longtemps rechignée et sacrifiée au profit de sa carrière à l’hôpital. À présent libéré de ces obligations, et quoiqu’éternellement enchaîné par le serment qu’il avait prêté quinze ans plus tôt, il embrassa son nouveau rôle avec une dévotion telle qu’on lui accorda plus de crédit encore que ce que son cœur désirait.

Si la validation supplémentaire offerte par les Six suffisait théoriquement à le contenter, Holland continua à nourrir le reste de sa fierté en gavant davantage un égo déjà au bord de l’implosion. Éclatante sans sa présence, elle paraissait rayonner plus encore lorsque son amant rôdait autour d’elle. Il fut à ses côtés lorsqu’elle décrocha son master ; elle se montra aux siens quand il passa avec brio les derniers examens de ses cinq années d’études. Il la porta aux nues lorsqu’elle décrocha le poste qui lui faisait envie ; se fit encourageant quand elle lui confessa rêver de poursuivre en thèse. Holly postula à diverses bourses de recherche et d’exploration à travers le pays, faisant naître chez son compagnon, et pour la première fois de son existence, l’idée de quitter la Californie. Conscient des capacités de son amante, Valery la poussa cependant à considérer l’étranger. Quand bien même elle refusa d’abord d’écouter les mots doux de celui qu’elle considérait être l’homme de sa vie, elle finit par prêter une oreille attentive à ses recommandations, et bombarda de candidatures tous les centres de recherches du Vieux Continent.

La nouvelle de son recrutement s’écrasa sur leur vie et leur couple avec une violence toute attendue un an après l’inauguration de la Palm River Veterinary Clinic, partiellement financée par la générosité intéressée des Six. Pour s’affranchir de l’autorité de patrons moins compétents qu’il ne l’était, autant que pour arranger le réseau, Valery s’était fait propriétaire de son propre établissement, où il pouvait briller seul comme par l’intermédiaire d’employés qu’il tria sur le volet pour s’assurer qu’ils rencontrent ses exigences. Une partie de son être fut tenté de laisser son projet en gestion pour suivre sa moitié et se reconstituer une vie avec elle en Europe, mais son égo et sa loyauté empêchèrent cette erreur si fatale.
Holland embarqua pour la Suisse après quatre ans de vie commune, emportant dans ses bagages et son cœur la certitude que son homme traverserait fréquemment l’Atlantique pour la voir. Elle lui promit de lui revenir sitôt sa thèse terminée, et il inscrivit son serment dans son esprit malade de devoir la laisser s’en aller.

Il tint parole. Elle ne parvint pas à remplir sa part du contrat. Elle manqua de répondre à l'un de ses messages quelques semaines après leur cinquième Noël ensemble, célébré pour l'occasion dans les rues romaines qu'il aimait par-dessus tout, pour les avoir si souvent parcourues depuis son enfance. Elle ne retourna plus ses appels que sporadiquement, aux premiers temps et, peu à peu, oublia de lui rendre l'attention dont il la berçait. Prise au piège de sa propre ambition et de la promesse d'embauche qu'on lui offrait en Suisse alors même qu'elle prévoyait de rentrer aux États-Unis quelques mois plus tard, Holly creusa progressivement entre eux une distance intolérable. Un fossé dans lequel elle enfouit son anxiété, ses envies de retrouver son amant, ses projets de fonder enfin la famille qu'ils composaient dans leur âme depuis si longtemps, ses doutes et, avec eux, ceux que son nouveau cercle social imprimait dans ses pensées. Il ne se força pas à l'oublier. Peu à peu, la fascination qu'elle exerçait sur Valery et l'amour conditionnel qu'il lui portait s'effacèrent, laissant place à une amertume et un ressentiment destructeurs qui menaça d'éclater à leur rupture, mais qu'il garda précieusement dans son cœur en attendant de la revoir.



Chapitre 8 : Joyce


Joyce n’avait de raison de le supporter qu-



PSEUDO : Caligari.
ÂGE : 28 ans.
PAYS : France.
MULTICOMPTE : pas encore.
INVENTÉ, SCÉNARIO OU PRÉ-LIEN : inventé.
COMMENT ES-TU ARRIVÉ(E) SUR ATN ? on m'a eue dans un moment de faiblesse. Je devais avoir faim, j'étais fébrile, l'idée d'ouvrir un forum est tombée sur la table, et toute ma lucidité a foutu le camp du fait de mon estomac vide ...
UN DERNIER MOT ? rhododendron.

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