TITRE D'HISTOIRE
Un simple petit regard pour le radio-réveil suffit pour constater qu'il est tôt. Très tôt. L'heure à laquelle les fêtards de tous poils cessent de dire qu'il est juste « tard ». Il n'est plus tard pour personne à présent. Alors oui, il est tôt. Trop pour que le soleil soit déjà en train de se lever mais pas loin et lorsqu'il se met debout, rejetant une couette qu'il ne fera pas au carré ce matin non plus, Max va ouvrir le rideau juste pour vérifier où en est l'astre du jour à l'horizon. Du moins, l'horizon qu'il possède entre deux buildings en face de son petit appartement.
Avec les responsabilités sont venus les cachets un peu moins craignos et pourtant Max n'a pas déménagé. Il l'aime bien son petit appartement. C'est le sien, il l'a acheté avec son solde de Navy Seal et sa prime de reconversion lorsqu'il a rejoint les rangs du LAPD. C'est pas grand. Peut être que c'est volontaire... Ça laisse peu de place pour que quelqu'un d'autre puisse prendre ses quartiers. Max a toujours aimé rester dans ses choses sans partager de tiroir ou d'étage dans le frigidaire. Là il en a un pour la viande, un pour les fruits et légumes et un pour sa bière. Le nombre parfait. Ok faut parfois mettre des trucs à la poubelle avant que la moisissure ne prolifère mais lorsque Max rentre du boulot il a pas toujours envie de cuisiner alors il troque ses envies de bien manger pour une boîte de ravioli ou quelque chose du genre.
Lorsque Max passe à la salle de bain, la première chose qu'il voit c'est sa chevelure poivre et sel coiffée par l'oreiller. Il en a même la marque sur la joue, au dessus d'un bouc taillé dans la même pilosité que ses cheveux. Sur les jeunes, ce genre de marque ça donne un petit côté mignon. Lui il a l'air d'un balafré. Merci la vieillesse qui s'installe doucement mais sûrement. A 55 ans, Max se sent pas encore vieux. Mais parfois son corps lui envoie des signaux en ce sens.
Son regard vert est vif. Il le croise dans le miroir. Perçant. La carcasse a besoin d'un peu de temps pour se dérouiller aux petites heures du matin mais son esprit est toujours à l'affût lui. Quelques cicatrices sur le torse. Il en a dans le dos, sur les cuisses, les pieds... Des vestiges d'une année passée aux mains des talibans. Des souvenirs indélébiles dont il ne parle pas, sauf avec la psychiatre du LAPD lorsqu'elle y tient vraiment. Jamais trop dans les détails en tout cas. C'est son trauma. Son histoire à mettre sous clef, bien au fond de la boîte de Pandore.
A l'époque, Max était chez les Navy Seal. C'était avant son retour à LA et après son enrôlement dans l'armée. Étudiant un peu moyen à l'école, recrue très prometteuse chez les cadets... Il avait trouvé une place et un idéal dans l'armée, lui qui avait été débauché dans une journée d'orientation sur les bancs du lycée. Sa mère avait pleuré lorsqu'il était partit. Son père s'en était vanté dans tout le quartier. Et aujourd'hui encore, Max est fier lorsqu'il y pense.
Intégrer les Navy Seal, c'était un peu la consécration de ses classes dans l'armée. Il avait fait pas mal de missions pour eux et pour la plupart elles demeuraient secrètes. A l'époque il croyait qu'il ferait toute sa carrière là bas. Et puis l'Afghanistan. C'était pas son premier rodéo là bas mais ça avait été le dernier. Un traquenard, une mission échouée, des morts... Difficile de dire aujourd'hui s'il avait alors eu « la chance » d'être fait simplement prisonnier. On avait tenté de lui soutirer des secrets qu'il ne possédait pas. D'autres qu'ils possédaient en partie. Il n'en avait vendu aucun et pourtant, rien que d'y repenser, Max a des acouphènes et comme des pieux qui s'enfoncent dans ses yeux. Il déteste ça.
Mais Max n'en parlais jamais vraiment. Déjà parce qu'il n'en avait pas le droit dans les détails et pour le reste, parce qu'en parler c'était comme remettre les pieds là bas. Il était solide. Mais le trauma s'en fout de la solidité d'un homme. Il n'a besoin de rien pour s'installer... Et là il avait eu toute une année...
Après ça il avait été mis au repos le temps de s'en remettre, comme si ça avait été un rhume ou une jambe cassée. Et comme il ne s'en remettait pas vraiment, on l'avait gentiment poussé vers la porte, renvoyé chez lui, incité à rejoindre la police locale de Los Angeles pourquoi pas ? Max avait fait contre mauvaise fortune bon cœur d'une certaine façon. Il avait accepté la chose bon gré mal gré... Il était entré dans la police, avait passé les test du SWAT et surtout il avait commencé les rendez-vous avec la psy.
La suite était d'une incroyable banalité avec son entrée pour de bon au SWAT et la mise en place de sa routine...
Après un brossage de dents en règle, Max vient cracher dentifrice et eau souillée sur le siphon au fond du lavabo. En se penchant, il remarque qu'il n'a pas mal au dos ce matin. Cette douleur là, c'est pas tous les jours. Son médecin -et son psy- disent qu'elle est psychosomatique celle là. Une « douleur fantôme » comme ils disent. La psy dit aussi que c'est « le témoignage physique d'une douleur psychique ». Les psy aiment bien dire ce genre de trucs. En général, lorsqu'il évoque le fait que cette douleur est là, elle lui demande « C'est l'expression de votre stress. Vous êtes stressé capitaine ? » et lui il la regarde sans trop savoir quoi dire. Max occupe un post à responsabilité dans une unité d'urgence qu'on appelle lorsque tout semble déjà un peu perdu. Du coup à ce stade le stress c'est presque son outil de travail.
Capitaine ? Ha oui. Capitaine. Il a été promu il y a quelques années. Il n'a pas craché dessus et en même temps il 'est pas battu non plus pour ce post. Lui il veut juste continuer de faire ce qu'il pense être juste, sans être naïf ni trop bon trop con, comme on dit. Il est passé du petit garçon qui voulait toujours être le gendarme lorsqu'il jouait aux gendarmes et aux voleurs dans la coure de récréation à ce Capitaine un peu désabusé qui ne croit qu'en ses hommes et qui sait que peu importe combien d'acte de bien il commettra, il y aura toujours dix actes malveillants derrière son dos. Mais que chaque acte positif compte quand même dans la balance et que ça se verra lorsqu'il sera temps de faire les comptes.
Max passe à la cuisine, attrape un caleçon qu'il vient sentir pour s'assurer qu'il sente la lessive plutôt que la sueur et puis il l'enfile en ouvrant le frigo, tirant quelques œufs pour le petit déjeuner. C'est un peu la pagaille dans la cuisine sans être le chaos. S'il était un peu misogyne, il dirait qu'il manque une femme dans sa vie. Mais s'il n'a besoin d'une femme que pour ranger son appart', c'est qu'il n'en a pas « vraiment » besoin n'est-ce pas ?
Il y a eu des femmes dans sa vie. Des minettes et des femmes de plus d'expérience. Il a toujours aimé leur peau douce, le galbe de leurs seins, la rondeur de leurs hanches et la tiède humidité de leur triangle d'amour. Il aime leurs voix mélodieuses, leur façon de monter dans les aigus lorsqu'elles sont irritées et de se faire plus grave lorsqu'elles se font suaves. Ce sont des comédiennes et il le dit sans mauvaises pensées. Parce que c'est ce qu'il aime chez elles aussi. Ce rôle d'infirmière, de consolatrice, d'amante et tous les autres qu'elles savent endosser. Assurément elles sont bien meilleures que les hommes. Bien meilleures que lui, qui n'est que Max. Et c'est pas vraiment grand chose finalement. Pas une grosse valeur ajoutée en tout cas.
Un œuf échappe d'entre ses mains et va s'éclater au sol dans un petit bruit d'os fêlé. L'albumine courre déjà sur le carrelage pour tout saloper et le jaune s'écorche sur un bout de coquille, se déchire et se répand... Il soupire.
Journée comme les autres à LA... Et le soleil, par la fenêtre, se lève enfin...