Gliss of wine or pint of beer ? (billie)

Milena est levée depuis les 3h. Une insomnie l'avait chopée en pleine nuit, et n'avait eu de cesse de l'empêcher de se rendormir. Lassée de ne faire que se tourner dans ses draps, elle avait décidé avancer du boulot au resto. Son père dormait encore à poings fermés quand elle descendit les escaliers, se dirigeant tout droit dans la cuisine. Un bon petit coup de propre ne ferait de mal à personne, et surtout, ça l'empêcherait de constater la fatigue menaçante qui s'annonçait.

Alors que 14h sonnait et que Milena rêvassait toujours autant en servant divers digestifs au bar, elle fut comme réveillée par un tintement : celui de la porte d'entrée. C'était étrange à cette heure là, et puis, qui pouvait bien se pointer un jour comme celui-ci ? Le restaurant avait été réservé pour un évènement, évidemment, il s'agissait des Tigrovi sous couvert d'une excuse bien trouvée. Milena se remet en marche, et va même aller chercher ce nouvel invité. Alors qu'elle foule les derniers pas sur la moquette rouge bordeaux, elle balance à qui veut l'entendre Désolé, mais nous ne servons plus. Elle relève la tête dès lors vers la jeune femme qui entrait. Elle lui dit quelque chose, c'est sûr. Mais qui était-ce ?

Je n'ai jamais été capable de manger à heures fixes, et j'aimerais pouvoir accuser le dispensaire pour cette mauvaise habitude, mais ce serait faire preuve de mauvaise foi. Lorsque je vivais encore à Fulton, les repas étaient presque chronométrés, tout le monde se mettait à table à midi tapantes, puisqu'il fallait de toute façon repartir travailler quarante-cinq minutes plus tard, sans jamais être en retard. Aussi, dès que j'avais eu l'opportunité de quitter la communauté, mon esprit s'était semble-t-il révolté contre ces horaires trop stricts. Désormais, j'oubliais donc de me nourrir une fois sur deux, et lorsque j'y pensais, c'était toujours plusieurs heures après le moment où le reste du monde mangeait. En cela je n'avais eu aucun mal à m'adapter aux urgences, ni au dispensaire par la suite, nos journées étaient rythmées d'imprévues et les repas étaient bien secondaires.

Si j'ai pris l'habitude de manger au Gibanica, il n'est pas très fréquent que je vienne sur place. Souvent, quelqu'un du dispensaire passe prendre des plats à emporter parce que nous n'avons que très rarement le temps de nous poser au restaurant. Aujourd'hui cependant, Josh est en repos et personne n'ira chercher à manger pour moi, et je n'ai pas fait attention à l'heure lorsque je pousse la porte de l'établissement... Mais on me rappelle à l'ordre dès que j'entre. Je fronce les sourcils, sincèrement embarrassée. « Oh, je suis désolée, c'était ouvert alors je pensais que... Vous êtes fermés ? »

La jeune qui venait de se pointer l'intriguait assez pour qu'elle la laisse entrer. On devrait l'être, mais vu que personne fait son taff à part moi.. Perdu pour perdu. Je te sers quoi? L'impression de l'avoir déjà croisée grandissait petit à petit. T'es du coin non ? J'ai l'impression de te connaître. Milena continuait de s'affairer derrière le bar, sans porter de regard indiscret sur la femme. Elle était curieuse, mais pas vicieuse. Si elle le voulait, elle pouvait même garder le silence que ça gênerait pas Milena. Après tout, cette pauvre femme venait peut-être juste décompresser, sans vouloir parler de ce qu'elle pouvait bien faire ici.

Miles ! Qu'on lui cri alors qu'elle attend la réponse de la jeune femme. Quelqu'un lui parle - dans sa langue natale - de se presser. Après un juron las et lourd, elle replonge le regard dans celui de l'invité inattendue. Je reviens dit-elle avec un regard presque vengeur. Elle part en furie, le plateau dans les mains, avec les digestifs et les cafés qu'elle pose lourdement sur la table en verre autour de laquelle ils sont tous réunis. Alors qu'ils se pensaient seuls, les hommes impatients soutinrent un regard inquisiteur auprès de la jeune qui attendait sagement le retour de Milena. Une fois qu'elle les servit, elle leur glissa quelques mots  que personne à part eux ne pouvaient entendre, puis revint à l'invitée surprise. Tu me disais ?

Je ne suis pas surprise par le tutoiement, dans le quartier ça semble être la règle courante. Même les patients qui viennent au dispensaire s'adressent, pour la plupart, à nous de cette façon. J'ai beaucoup de mal en ce qui me concerne à tutoyer les gens en retour, mais je me suis habituée à ce qu'eux le fassent, et je ne lui en tiens donc pas rigueur. De plus, je sais que le restaurant propose une cuisine familiale, surtout pour des clients habitués, et je suppose que la jeune-femme qui me fait face doit connaître tous les habitants du quartier, ou pas loin. Je plisse le nez en désignant la porte d'un vague mouvement de la tête. « Je travaille au dispensaire, au bout de la rue, on s'est sans doute déjà croisées. » Je sais que je suis déjà venue ici, et qu'elle m'a déjà servie, mais c'était il y a longtemps et elle ne peut pas mémoriser les traits de tous ceux qui passent la porte de l'établissement.

Je pince les lèvres et l'observe tandis qu'elle s'éloigne pour aller servir une tablée masculine, bruyante et à la mine peu amène. Je secoue la tête à l'intention de la jeune-femme. « Non, vraiment, je ne voulais pas déranger... Je repasserais une autre fois. » Mon regard se porte encore sur les hommes visiblement incommodés par ma présence, et je regrette soudain ma venue.

Le dispensaire, bien sûr ! Elle y avait déjà accompagné son père quand il s'était fait tabasser en se baladant dans une ruelle un peu trop éloignée de leur clan. Elle avait certainement du le rafistoler à l'époque, car son visage lui paraissait soudainement plus familier, comme sortant d'une épaisse brume blanche, se dessinant toujours un peu mieux. Je crois que je vois, j'ai du te croiser là bas oui. Ca va, le boulot ? J'veux dire, tu dois en voir des choses avec tout ce qu'il se passe. Elle essayait d'ouvrir une discussion sans trop parler pour autant. C'était pas simple, d'avoir le cul entre deux chaises de manière constante.

Puis, sa gêne la guida à vouloir partir : Non, je t'en prie, reste, je t'offre ce que tu veux, tu veux quoi ? Faut pas avoir peur de ces mecs là bas qu'elle dit en lançant un regarde réprobateur vers leur table. C'est des anciens, plutôt curieux et sur leurs gardes, mais tu ne gênes personne.

J'esquisse un sourire quelque peu apaisé lorsqu'elle tente de faire la conversation. Je ne suis pas dupe de ses tentatives maladroites : je suis moi-même assez peu douée pour cet exercice. C'est donc avec plaisir que je m'empare de la perche tendue, en acquiesçant. « Oui, on a dû s'y croiser c'est possible. Quant à l'activité c'est... Disons que ça ne redescend jamais vraiment. » Au dispensaire on ne compte pas vraiment sur les saisons. Bien-sûr, il y a plus de gens malades en hiver par exemple, comme partout, plus d'accidents au Nouvel An, ce genre de choses... Mais les gens ici vivent dans une telle précarité que notre salle d'attente ne désemplit jamais. « Mais c'est pour ça que je travaille là-bas, après tout, pour pouvoir aider. » Je me sentirais bien inutile si je me retrouvais face à une salle vide tous les jours.

Je darde un nouveau regard en direction des hommes attablés un peu plus loin, et je dodeline de la tête. « Je ne suis pas effrayée, je ne voulais juste pas vous déranger... » Mais puisqu'elle insiste, je plisse le nez en demandant. « En fait je sais qu'il est un peu tard mais je venais voir s'il vous restait quelque chose à manger...? »