Hurt my soul - "She's such a loser always ready to cry!"

Déracinée, la petite n'a jamais connu son pays d'origine, ni même d'où sa mère tirait son ascendance, juste qu'elle avait un peu de sang Espagnol en prime des origines Serbes. Pour cause, sa mère, elle l'a pas vraiment connue. Elevée loin de son pays, par un père d'apparence célibataire, sans repère maternel, elle s'est volontiers pliée au jeu qu'on lui proposait : la fille unique un peu gâtée, mais gardienne d'un nom à faire perdurer. Forgée par les mains de fer d'un père présent mais exigeant, elle n'a jamais vraiment eu les bras réconfortants. Bien qu'elle fut l'attention première de Josif, son père, il lui était difficile de trouver des marques d'affection pures : Josif bien maladroit, la lui témoignait sous forme financière ou matérielle.

Regarde où tu marches ! La voix masculine porte si loin que les voisins pointent le bout du nez pour observer. Au milieu de la rue, la petite, l'air renfrogné, regarde ses pieds en reniflant et comme une mule, refuse maintenant d'avancer. Jpa fé expré.. qu'elle murmure dans sa petite nuque, tendue comme un fil de fer. On ne perçoit toujours pas son visage, camouflé par sa longue touffe de cheveux bruns. Le père se met à râler, puis à jurer : il n'a pas le temps, elle en devient presque encombrante, et comme si c'était la faute de cette frêle silhouette, il balance Foutu portrait de la mère avant de tourner les talons et partir à l'opposé de la gamine, seule sur le trottoir. Et alors que l'homme s'éloigne, la petite tête se relève, les yeux inquiets de se faire abandonner une seconde fois. Parce que oui, elle croit comprendre que sa mère l'a abandonnée, sans vraiment savoir ce qu'elle avait fait de mal. La certitude qu'elle avait à ce sujet, c'est qu'elle ne devait sous aucun prétexte parler de sa mère, ni même demander où est-ce qu'elle était, sous peine de se prendre une baffe. Lorsque le père finit par disparaitre au coin de la rue, les larmes montèrent instantanément aux billes rondes de la fille, qui se mit à courir comme une dératée vers la seule figure qu'elle avait. Ses pleurs étaient si forts qu'on aurait pu croire qu'ils sortaient directement de ses poumons. Ses foulées étaient si rapides qu'on aurait cru qu'elle voulait échapper à la mort. Papaaaa ! Qu'elle continua de crier, en prenant le coin de rue elle aussi, sur ses traces.


Break my heart - "No need to be scared - or alive."

Jeune femme, Milena a toujours eu du mal à se faire des amis, encore plus des amoureux. En vérité, elle a tant baigné dans l'univers de son père et des Tigrovi qu'elle ne s'est jamais connue autrement. Celle à qui on demande de travailler au restaurant, celle qu'on appelle en toute urgence pour gérer les affaires le temps de s'absenter, celle qui doit surtout garder sa bouche fermée alors qu'elle entend bien trop de choses. C'était sa son fardeau, sa malédiction. Vouée à rester cloîtrée entre quatre murs, pour un semblant de protection, contre un travail acharné et interminable. Le sens du devoir avait fini de la convaincre de ne jamais rien dire au sujet des affaires sensibles. Elle en devint un membre malgré elle, de par son silence.

Les hommes s'attablent, les cigarettes au bec, prêts à fusiller le premier regard qu'ils croiseraient. Josif est nerveux, tourne en rond dans la cuisine du restaurant, vide à cette heure là. Milena avait du descendre encore une fois en toute hâte pour finir de nettoyer le restaurant, pendant que son père s'occupait des hommes. Quelque chose ne tournait pas rond, mais il lui était impossible de deviner quoi. Alors qu'elle se mit au ménage sans rechigner, elle entendit alors des bribes de conversations, dont son père faisait partie. Ce qui était énoncé, ou du moins ce qu'elle réussissait à entendre, était glaçant. Pourquoi est-ce que c'était à elle de vivre et entendre ce genre de merdes ? Si elle avait pu, elle se serait réfugiée sous la couette, comme quand elle était gamine. Les hommes continuent de jacasser, mais commencent à se détendre. Les regards sont moins sévères, et l'alcool est servi en grandes quantités : tout allait bien se terminer. Puis, après quelques heures, Milena qui commence à ranger son tablier, se fait interpeller : Miles ! Qu'elle entend au loin. Miles, ma petite, dis donc, ça brille ! Elle fronce les sourcils, vexée qu'on la réduise à ce boulot imprévu. L'homme qui l'a interpellée est une connaissance de longue date à son père, et malgré le fait qu'elle le connaisse particulièrement bien, elle ne l'apprécie pas. Je me devais de te le dire, puisque tu le voyais ces derniers temps... Il tire une taffe qu'il expulse violemment avant de continuer James va se marier. James était son fils ainé, de qui elle était éperdument amoureuse, et ce depuis bon nombre d'années. Malgré elle, ses joues rougissent, presque de colère. L'homme le voit et voudrait continuer, mais elle s'échappe en un coup de vent, prête à retourner dans les jupes d'une mère qu'elle n'a jamais eue, pour finalement se décider à mettre sa chambre sans dessus dessous. Ouragan de sentiments, tristesse infinie et mélancolie insupportable. 

Heal my world - "Duck! Hehe, just kidding, that won't help."

Hypersensible, Milena a toujours eu du mal à supporter l'injustice et la violence gratuite. Pas qu'elle se rebiffe systématiquement quand elle voit quelqu'un se faire passer à tabac : c'est plus courant quand cela n'est pas mérité, à ses yeux. Ce monde qu'elle appréhende d'une couleur si sombre, elle le détesterait presque autant que sa venue au monde. Que fout-elle là, elle, et pas une autre qui se démerderait bien mieux face à tout ça ? Il en est qu'elle doit continuer, sans se retourner, et ça, elle y arrive plus. Non seulement elle commence à vouloir vivre pour elle, mais en plus, sa boite à secrets ne peut plus encaisser : elle a besoin de parler. A défaut d'un psy, elle a trouvé des contacts friands de ce genre de petits secrets. Elle les voit en douce, le coeur palpitant, et le ventre noué, mais avec le sentiment de faire ce qui est bon. Le seule moment où son coeur la fait virer à la nausée, c'est quand elle pense à ce qu'elle fait réellement à son père. Malheureusement, elle n'arrive pas à s'arrêter : continuer à vivre et faire ce qu'elle pense bon, plutôt que dépérir dans un coin du restaurant, symbole de sa captivité.

La jeune femme en face d'elle ne supporte plus le suspens Alors ... ? Milena qui était perdue dans un brouillard de décisions, relève les yeux avec peine. Abattue par ce qu'elle est en train de faire pour la première fois, elle sent malgré tout la lueur d'espoir qui l'a amenée ici ce soir là. Sans véritable retenue, elle commence à raconter en détails ce qu'il s'est dit dans le restaurant, le soir du meurtre suspect d'un jeune du coin. En parlant, elle sent bien qu'elle se détache de cette vie. En parlant, elle sent qu'elle réussit ce qu'elle cherche depuis longtemps : se déchirer de ce papier qui recouvre les murs. Les mains de la journaliste écrivent au rythme du débit de Milena, qui ne semble plus vouloir s'arrêter. Comme une vanne qu'on arrive plus à fermer, les sujets son abordés les uns après les autres. Il y en a tellement, que cela fait même de trop pour la jeune journaliste en face. Consternée, elle semble n'avoir notée qu'une partie de ce qu'elle a entendu. Elle voudrait redemander ce qu'elle a loupé, mais elle se retient, sachant pertinemment qu'elle n'avait qu'une seule fenêtre de tir : Milena a beau être généreuse de renseignements, elle est perspicace et ne prendrait pas le risque de traîner plus longtemps que nécessaire en sa compagnie. Après un long discours, elle finit son verre d'une traite, se lève, prend son sac et sans un regard pour l'interlocutrice, s'échappe à la vitesse lumière.