le crayon gribouille encore. les traits sont noirs, foncés, pâles, grisâtres par endroit. ”qu’est tu dessines encore? tu l’sais bien que c’pas ça qui va t’sauver.” bien sûr qu’elle sait. elle sait, leo. que rien ne va la sauver. l’crayon qui traverse la pièce, le bout de papier balancé à bout de bras, une culotte baissée et violentée, sans rien avoir demandé. un jour, tu vas t’y habituer. un jour. l’jour n’est jamais venu. comment on peut s’habituer aux malheurs?

”aller, un dernier leo.” poupée brisée, toujours à réagir aux quatres volontés. le mot non n’existe pas. on ne repousse pas un précieux client. ”parce que tu le veux ce nouveau cahier à dessin, nah? alors ouvre ta belle bouche, leo.” et elle s’exécute tel un pantin bien manipulé. elle en peut plus la p’tite. les ecchymoses qui s'accumulent autour de ses hanches, les morsures sur sa peau de porcelaine. l’intimité volée et brisée. rien ne fait plus mal que de perdre une dignité. et un jour, elle n’a pas voulu.  elle a payé la gamine. elle l’a regarder, déchirer chacun des dessins, bruler chaque page du putain d’cahier. et elle s’est juré qu’un jour, lui, il brûlerait.  

le pinceau ne se fait plus aller sur une feuille. la toile est devenue son visage. un rouge brique qui borde ses pulpeuses, rouge qui ira mourir sur le col de la chemise blanche de son prochain client. cils ourlés d’un mascara charbon pour agrandir son regard de biche apeurée. et comme tous les soirs, elle les ouvrira. les cuisses. les mêmes cuisses qui seront morcelées par les morsures et les traces de doigts trop vigoureux. et leo, elle retournerait à son cahier à dessin ensuite, à coucher sur papier ses douleurs, sa rage de vivre, de mourir. parce qu’un jour, on s’y habitue.